Télé Gbagbo vous parle...

Laurent Gbagbo a effectué sa première intervention publique depuis le 4 décembre. Lors d'une allocution sur la télévision d'État (RTI), entièrement sous son contrôle, il a tenu à prouver qu'il était le seul président légal et légitime de Côte d'ivoire. Et a essayé de rassurer ses concitoyens... tout en se montrant menaçant. Décryptage.

Pour sa première déclaration publique depuis son investiture illégitime, le 4 décembre dernier, Laurent Gbagbo s'est montré solennel et peu éloquent. Lisant consciencieusement son texte au cours d'une allocution dont les différentes séquences ont été réunies au montage, ce n'était pas l'image de l'orateur ou du tribun que le président sortant voulait montrer. Mais celle d'un président sérieux, posé, presque ennuyeux, tenant d'abord à rassurer les Ivoiriens.

Premier point abordé : la légitimité de Gbagbo lui-même, malgré son putsch institutionnel. Le président sortant a tenu à affirmer qu'il était bien « le président élu de la République de Côte d'Ivoire » - au cas où un doute subsisterait... Reprenant la rhétorique juridique ayant servi à justifier son investiture – « la Commission électorale indépendante [CEI, NDLR] a failli » et « la proclamation définitive des résultats relève de la compétence exclusive du Conseil constitutionnel » - Laurent Gbagbo ne s'est cependant pas aventuré à remettre en question l'article 64 du Code électoral ivoirien, révisé en 2008. Lequel prévoit qu’au cas où ledit Conseil constitutionnel « constate des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d’ensemble », il doit prononcer « l’annulation de l’élection présidentielle » - et non l’identité du vainqueur -, un nouveau scrutin devant être organisé « au plus tard quarante-cinq jours » à compter de la date de cette décision.

Lourdes accusations

Le deuxième aspect de la déclaration du leader du Front populaire ivoirien (FPI) visait à nier de manière quelque peu schizophrénique toute anormalité dans le fonctionnement du pays, tout en accusant l'étranger d'être responsable des troubles. « L'État fonctionne, l'économie est en route », a assuré Gbagbo, confirmant d'ailleurs que le couvre-feu était levé à partir du mardi 21 décembre.

Mais Gbagbo connaît le poids des mots et n'hésite pas à porter, en passant, de lourdes accusations. « C'est en se fondant sur ces résultats [de la CEI, NDLR] nuls et de nul effet que la communauté internationale déclare la guerre à la Côte d'Ivoire et cela est inacceptable. [...] On veut nous terroriser », affirme-t-il.

"Le pouvoir pour le pouvoir"

Répondant à ses nombreux détracteurs, Laurent Gbagbo explique sa « conception de la conquête et de l'exercice du pouvoir ». « On ne veut pas le pouvoir pour le pouvoir, dit-il. On veut le pouvoir pour servir le peuple. Je ne veux plus que de sang soit versé, je ne veux pas d'une guerre en Côte d'Ivoire qui peut s'étendre aux pays voisins. » Une allusion à des troubles sous-régionaux qui n'est pas innocente, à l'heure où la Cedeao et l'UA s'interrogent sur l'opportunité d'une intervention militaire contre le régime illégitime de Gbagbo.

Enfin, le président sortant a voulu ouvrir la porte au dialogue, à sa manière, en proposant d'accueillir « un comité d'évaluation sur la crise postélectorale », dont la mission serait « d'analyser objectivement les faits et le processus électoral, pour un règlement pacifique de la crise ». Il serait dirigé par « un représentant de l'Union africaine » et comprendrait, entre autres, des représentants de la Cedeao, de l'UEMOA, de l'ONU, des États-Unis (qui viennent d'établir une interdiction de visas contre Gbagbo et une trentaine de ses proches), de l'Union européenne, de la Russie, de la Ligue arabe et de la Chine ainsi que « des Ivoiriens de bonne volonté » (sic).

Gbagbo "continue de ruser avec le monde"

Seul problème : le président sortant est totalement isolé sur la scène internationale et n'est plus reconnu. Sa contre-offensive diplomatique a donc peu de chance d'aboutir. Pas plus que sa proposition faite à Ouattara et à ses proches de garantir leur liberté. « Je demande aux personnalités qui se trouvent à l'hôtel du Golf de regagner leur domicile [...], elles sont libres de leur mouvement », a-t-il affirmé. Mais qui prendra encore le risque de le croire ?

Gbagbo « continue de ruser avec le monde » et de le « défier », a réagi la porte-parole de Ouattara, Anne Ouloto. Sa proposition d'un « comité d'évaluation international pour sortir de la crise ne peut pas être une vraie offre de dialogue [...]. Il dit avec force qu'il est encore le président de la République de Côte d'Ivoire, ce qui est inacceptable », a-t-elle insisté. « Il s'agit pour Laurent Gbagbo de reconnaître le verdict des urnes et de partir, tout simplement. »

Quant à la proposition de Gbagbo de garantir la sécurité des personnes retranchées à l'hôtel du Golf, elle a dénoncé des « problèmes de sécurité » : « Je ne crois pas que nous sortirons demain [mercredi] du Golf Hôtel, parce que Laurent Gbagbo a 3 000 miliciens qui continuent de sévir dans les quartiers. »
   

Jeune Afrique, 22/12/2010

 

 

 

 

 

 

 

 
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