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Retrouvons-nous!

Par delà nos différences idéologiques, plus souvent factices que réelles, par delà nos cheminements individuels, par delà nos engagements passés et présents, nous devons nous retrouver autour de la question essentielle de la survie de notre pays. Car il ne faut pas nous voiler la face : notre pays est en danger. Lorsque le président Bédié était au pouvoir, c’est-à-dire il y a une dizaine d’années, une étude prospective avait été menée pour voir ce que serait notre pays en 2025. 2025, c’est dans quinze ans. Et cette étude avait montré que deux dangers mortels menaçaient la Côte d’Ivoire. Il s’agissait de la question de la nationalité, et de celle de la mauvaise gouvernance. Ce scénario catastrophe avait été baptisé « la chauve-souris étranglée. » Et nous sommes en plein dans ce scénario. Depuis dix ans nous n’avons pas été capables de trancher cette question simple : qui a droit à la nationalité ivoirienne et qui n’y a pas droit ? Et aujourd’hui, cette question se pose avec plus d’acuité, au moment de la confection des listes électorales et des cartes d’identité. Et les mots employés font peur. On parle de désinfecter. On désinfecte une maison de ses cafards, de ses cancrelats, de ses mouches, de ses souris. Cafards, cancrelats. Ces mots ne vous rappellent rien ? Le Rwanda. En 1999, nous avons chassé quelques 10 000 « Burkinabé » de la région de Tabou, au motif que deux d’entre eux auraient tué un « fils authentique de la région ». Et la loi traditionnelle voudrait qu’en cas de meurtre, le coupable soit banni pendant sept ans. On a considéré que tous ceux qui de près ou de loin ressemblaient à ces meurtriers présumés étaient coupables. On a chassé dix mille personnes de la région de Tabou. Dans la foulé on a chassé les pêcheurs Bozos qui se trouaient sur nos lacs, ainsi que les pêcheurs ghanéens et togolais qui se trouvaient sur nos mers. En 2005, à Alépé, ce sont les populations venues du Zanzan, une région de Côte d’Ivoire, qui étaient traités d’étrangères, et chassées des plantations qu’elles occupaient. A l’ouest, c’est régulièrement que les populations venues du centre ou du nord sont harcelées dans leurs plantations, quand celles-ci ne leur sont pas tout simplement arrachées. En octobre dernier, lors d’un meeting à Koumassi, Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale posait ces questions : « Est-ce que pour construire ce pays, il n’est pas bon qu’on s’asseye et qu’on dise que si Mamadou est à Béoumi, sa maison, sa femme et ses enfants sont à Béoumi, peut-être même qu’il a épousé une femme de là-bas, on ne peut pas le chasser, on ne peut pas le tuer, est-ce que ce n’est pas mieux qu’on dise que comme son nom est sur la liste et qu’il veut voter, il n’a qu’à prendre, et nous, on continue tranquillement notre histoire ? » Et moi, je lui répondis quelques jours plus tard, dans ces mêmes colonnes : « Il est aujourd’hui temps de se poser, avec Koulibaly, ces simples questions : est-il encore étranger, celui-là qui est né ici, qui a toujours vécu ici et qui continue de vivre ici ? Est-il encore étranger, celui-là dont le grand-père est enterré dans ce pays et qui ne se connaît d’autre pays que celui-ci ? Nous nous enorgueillissons d’avoir dans notre population plus de 25% d’étrangers, signe de notre hospitalité, pensons-nous. Nous n’avons pas compris que lorsque l’on a une telle proportion d’étrangers, cela veut simplement dire que l’on n’a pas su intégrer. Et qu’il est illusoire de vouloir écarter un quart de sa population du jeu politique. Nous avons voulu le faire. Une partie de ce quart a réclamé sa place dans le jeu politique. Par les armes. Et elle l’a eue. Continuer dans la même voie, c’est faire preuve d’une criminelle cécité. Mamadou Koulibaly a posé la bonne question : qu’est que je perds en donnant la nationalité ivoirienne à celui-là qui a toujours vécu à mes côtés, qui a aussi contribué à bâtir ce pays dont je suis si fier ? Rien. Nous n’avons aucune possibilité de le faire partir chez lui. Parce que chez lui, c’est ici. Qu’est-ce que je gagne en l’intégrant pleinement à notre société ? Je gagne un nouveau compatriote. Cela ne changera rien au nombre d’habitants de ce pays. Puisqu’il était déjà là. Mais il y aura un nouvel homme qui ne vivra plus avec cette stigmatisation d’être étranger. » Par delà nos différences idéologiques qui en réalité n’en sont pas, par delà nos cheminements individuels, et loin de toute invective ou accusation stérile, retrouvons-nous autour du seul combat qui en vaille la peine : celui de la survie de notre pays. Unissons tous nos efforts pour sauver ce pays nôtre. Arrachons-le des mains de la petite bande d’illuminés qui pense que le fait qu’on leur ait confié la gestion du pays les autorise à le détruire. Lorsque la catastrophe se sera produite, les coupables ne seront pas seulement ceux qui l’auront provoquée. Seront aussi coupables tous ceux qui auraient pu l’empêcher mais ne l’auront pas fait, en gardant le silence. Nous ne devons pas nous taire et laisser le monopole de la parole à des fascistes aux petits pieds, au moment où les Obama et Sarkozy, fils d’émigrés, dirigent deux des plus grandes puissances mondiales. Nous ne pouvons pas nous laisser distraire par cette xénophobie d’arrière garde, au moment où nous vivons dans l’obscurité, où nous ne faisons plus qu’un seul repas par jour, où nos petits frères et nos enfants ne savent pas quoi faire de leurs diplômes. Ne nous épuisons pas dans des combats inutiles. Retrouvons-nous, nous qui nous reconnaissons encore dans notre hymne national qui parle de fraternité, de pays de l’hospitalité.

Venance KONAN ; juin 2, 2010

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