Résolution de la crise ivoirienne : Gbagbo et Ouattara coincés

* Les actes qui rendent difficiles les pourparlers

Les experts dépêchés par l'Union africaine en Côte d'Ivoire ont quitté Abidjan hier jeudi 10 février, après y avoir séjourné cinq jours. Il appartient maintenant aux cinq chefs d'Etat constituant le panel de trancher en se fondant essentiellement sur le rapport qu'auront produit les experts à partir des données recueillies à Abidjan. Mais avant même qu'ils n'aient rendu leur verdict, ils sont nombreux les Ivoiriens et observateurs qui sont sceptiques quant au succès de la mission confiée au panel de l'Ua. S'adressant justement aux médiateurs africains, l'éditorialiste de Jeune Afrique, François Soudan, écrivait dans la dernière édition du bimensuel: « Sachez que Gbagbo ne partira pas. Il n'est pas Ben Ali (…) Sachez que Ouattara ne cèdera pas (…) Sachez que l'un et l'autre ont désormais franchi le Rubicond, brûlé leurs vaisseaux et qu'une conciliation entre les deux semble impossible... ». Il rejoignait ainsi le Premier ministre du camp Ouattara, Guillaume Soro, qui déclarait récemment depuis Ouagadougou:« Gbagbo ne cédera pas le pouvoir. Il dira non au panel(...) Il est allé trop loin pour reculer. ». Là réside toute la difficulté qu'il y a à trouver une issue négociée au conflit ivoirien. La mission du panel apparaît en effet comme une quadrature du cercle. Elle est d'autant plus inextricable que les deux protagonistes ont poussé le bouchon trop loin au point d'avoir atteint le point de non retour.

GBAGBO ''OTAGE'' DES FDS

Trop d'actes ont été posés tendant à les conforter dans leur stature de président élu de Côte d'Ivoire qu'il semble quasi impossible pour eux de faire marche-arrière. Que ce soit Laurent Gbagbo ou Alassane Ouattara, chacun est enchaîné par ces pas déjà posés qui portent l'un et l'autre à poursuivre le chemin, en dépit de la pluie de sanctions et autres appels à la raison. Le premier, Laurent Gbagbo, a engagé les forces de défense et de sécurité (Fds) à défendre, parfois au prix de leur vie, le pouvoir qu'il affirme avoir acquis dans les urnes. Depuis le 4 décembre 2010 qu'il a été investi président de la République par le Conseil constitutionnel, il a bénéficié du soutien appuyé des hommes en tenue. Plusieurs d'entre eux ont laissé leur vie dans la défense des institutions de la République. Comment renoncer au pouvoir sans donner le sentiment d'avoir trahi ces soldats qui ont payé de leur vie leur engagement à ses côtés ? De toutes les pressions que subit le locataire du palais du Plateau, c'est sans aucun doute le plus délicat à gérer. Vient ensuite la question du gouvernement avec toutes ces femmes et hommes engagés dans une aventure perçue comme une mission de salut national. Que faire de tous ces ministres, qui se seront investis corps et âme dans la consolidation du pouvoir de Laurent Gbagbo ? Comment leur faire admettre que l'aventure patriotique va devoir s'arrêter brutalement avec le lâchage du pouvoir par Gbagbo ? Difficile! Par ailleurs, Laurent Gbagbo a engagé ses farouches partisans et proches parmi les proches dans cette affaire. Certains comme son épouse Simone Gbagbo et le leader des jeunes patriotes, Charles Blé Goudé, ont mis toute leur énergie à défendre cette cause au point de figurer en bonne place sur la liste des sanctionnés de la communauté internationale. Comment renoncer à ce pour quoi ils se sont tant investis sans se brouiller avec ces farouches gardiens du temple ? D'autre part, Laurent Gbagbo est allé si loin dans sa défiance à la communauté internationale qu'un renoncement au pouvoir peut le faire passer aux yeux de l'opinion pour un tigre en papier. Après avoir exigé le départ des casques bleus onusiens, renvoyé des ambassadeurs européens, placé sous son contrôle des agences de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Bceao) en Côte d'Ivoire, faire marche-arrière serait se dégonfler. Une déculotté qui pourrait froisser l'amour-propre. Autant de chaînes qui rendent difficile la perspective d'un renoncement au pouvoir par Laurent Gbagbo au cas où les « mesures contraignantes » du panel de l'Ua devaient l'y pousser.

OUATTARA ''OTAGE'' DE L'ONU, OBAMA ET SARKOZY

Tout comme Gbagbo, Alassane Ouattara a franchi le Rubicond. Déclaré élu par la Commission électorale indépendante (Cei) et adoubé par les Nations Unies, les présidents américain Barack Obama et français Nicolas Sarkozy et l'Union européenne, il croit tenir le bon bout. Au point qu'il apparaît presque inimaginable qu'il renonce au fauteuil présidentiel qu'il estime avoir conquis de haute lutte. Surtout après tant de chemin parcouru aux côtés d'une communauté internationale, qui en grande partie le reconnaît comme président de la Côte d'Ivoire. Son nom est en effet inscrit comme président élu de Côte d'Ivoire dans la résolution 1962 du 20 décembre 2010 adoptée par le Conseil de sécurité de l'Onu. Il a fait nommer un ambassadeur aux Nations Unies en remplacement de celui qui y siégeait pour le compte de Laurent Gbagbo. D'autres ont été accrédités dans certains Etats européens, d'où les diplomates nommés par Gbagbo ont été rayés. Comment revenir sur ces engagements forts. Sans compter que le président américain, Barack Obama himself et son homologue français, Nicolas Sarkozy, ont brûlé beaucoup d'énergie à défendre M. Ouattara.

Est-il possible pour le candidat du Rhdp de renoncer sans s'attirer la foudre de ces chefs d'Etat qui comptent parmi les plus puissants du monde ? Il y a certainement chez Ouattara le souci de ne pas faire perdre la face à l'Onu, à Barack Obama et Nicolas Sarkozy, tout comme à la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) qui elle aussi l'a reconnu comme le président élu. D'autre part, l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) a reconnu à Ouattara la qualité de président élu de la Côte d'Ivoire et lui a de ce fait donné tout droit de décider pour le compte du pays, à la Bceao. Il peut ainsi nommer un nouveau gouverneur en remplacement de Philippe Henri Dacoury Tabley, démissionnaire. Renoncer au fauteuil présidentiel apparaîtrait comme un cinglant désaveu à tous ces chefs d'Etat de l'Uemoa qui ont pris cette décision à Bamako le 22 janvier dernier. Par ailleurs, Ouattara, a embarqué dans son aventure Guillaume Soro et ses troupes armées, dont l'avenir reste désormais tributaire de son sort. Après qu'elles se sont engagées à ce point à ses côtés, les Forces nouvelles pourraient ne pas pardonner à Ouattara de s'être débiné, les livrant ainsi à la rue. C'est pour toutes ces raisons et bien d'autres encore que la résolution de cette crise post-électorale s'annonce titanesque.

Assane NIADA

Publié le vendredi 11 février 2011   |  L'Inter

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