Processus électoral interminable: La Côte d’Ivoire est-elle maudite ?

Cinq ans après la fin du mandat constitutionnel du chef de l’Etat Laurent Gbagbo, la Côte d’Ivoire ne semble pas prête à voir le bout du tunnel des élections. La dernière échéance de fin avril-début mai, fixée en décembre dernier par le Cadre permanent de concertation (Cpc) pour la tenue de la présidentielle, vient de passer et rien n’indique que les Ivoiriens connaîtront bientôt la nouvelle date à laquelle ils se rendront aux urnes.

Dieu a-t-il quitté la Côte d’Ivoire ? Telle est la question que se posent de plus les Ivoiriens dont le dernier espoir d’aller aux élections de sortie de crise s’est évanoui dans la crise des 429.000 pétitionnaires litigieux de la liste électorale. En effet, le pays, jadis vitrine de stabilité dans une Afrique de l’Ouest en turbulence, présenté par certains ultras, comme la seconde patrie de la Providence, patauge depuis près de dix ans dans une crise militaro-politique d’où elle a du mal à sortir. Entre incompréhensions et calculs politiciens, le pays est à son septième report d’une élection présidentielle censée lui rouvrir la voie de la stabilité. Invariablement, les acteurs politiques se rejettent les uns sur les autres, la responsabilité de cette situation de blocage dans laquelle végète le pays.

Les interminables reports

Une situation d’autant plus ubuesque que des pays tels que l’Irak ou l’Afghanistan, en guerre active, réussissent à organiser des élections. « Chaque report des élections contribue à augmenter la souffrance de la population. Je demande à la Commission électorale indépendante de fixer rapidement la date des élections. Quel est ce pays qui ne peut pas organiser des élections ? », fustigeait, en début janvier dernier à Afféry, Alassane Ouattara, leader du Rassemblement des républicains (Rdr). Une sortie qui traduit bien l’agacement de l’opinion nationale et internationale qui a hâte de voir s’organiser ces élections tant attendues. Car, c’est depuis octobre 2005 que les Ivoiriens devraient avoir renouvelé leurs dirigeants.
En 2005, c’est un argument juridico-technique qui a amené le chef de l’Etat à reporter la présidentielle. « Constitutionnellement, la Côte d’Ivoire ne peut pas se permettre d’aller aux urnes alors que le pays est coupé en deux, surtout que le listing électoral n’était pas confectionné », avait-il argué. Repoussées au 31 octobre 2006. Là encore, c’est à l’ombre des palabres entre les partisans de Laurent Gbagbo et l’opposition réunie au sein du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) que le report sera encore consommé. Dans un contexte marqué par un nouveau cadre transitoire, c’est-à-dire l’Accord politique de Ouaga, Laurent Gbagbo monte au créneau le 6 août, pour annoncer qu’il était possible « d’organiser l’élection présidentielle ivoirienne dès le mois de décembre 2007 ». Mais à la date annoncée, les Ivoiriens verront encore l’élection leur filer entre les doigts.

Signe de malédiction ?

Elle est ramenée au 30 novembre 2008. A deux mois de cette échéance, un nouveau report est annoncé, lié, notamment à des difficultés techniques et logistiques. Dès lors, la date d’octobre 2009 sera sur toutes les lèvres. Mais le 29 octobre, point d’élection. Une situation qui suscite le courroux des partisans de Laurent Gbagbo qui accusent la Commission électorale indépendante (Cei) en charge du processus électoral de « berner les Ivoiriens ». Devant la fronde qui s’organisait pour exiger une date « sûre » pour les élections, le Cpc décide que le scrutin pourrait se tenir fin avril-début mai. Les Ivoiriens avaient commencé à rêver lorsque naît la crise des 429.000 pétitionnaires litigieux. Comme à l’occasion des précédents reports, cette sale affaire ne manquera pas de plomber l’ensemble du processus qui cherche jusqu’aujourd’hui à en sortir. Avec la crise des élections qui ne fait que s’éterniser, tous les prêtres et autres gourous qui avaient prophétisé que la Côte d’Ivoire est une terre bénie de Dieu, devraient sans doute revoir leur révélation. Et, même s’il n’abonde pas, de manière tranchée dans l’idée selon laquelle Dieu a quitté la Côte d’Ivoire, le révérend Ediémou Blin Jacob ne disait-il pas que « Dieu peut bénir à un moment dans le désordre. Mais, il ne continue pas toujours à bénir dans ce désordre. Il bénit dans la justice. Maintenant, le temps de l’ordre est arrivé. Parce qu’il ne peut plus bénir la Côte d’Ivoire dans le désordre » ? Confiant dans sa prophétie, l’homme de Dieu est allé jusqu’à dire que les Ivoiriens ne pourront pas aller aux élections tant qu’ils ne se pardonneront pas les uns, les autres. « Chaque fois que le pouvoir a annoncé une date, la Côte d’Ivoire a échoué. Rien ne va en Côte d’Ivoire. Il ne faut pas aller voter dans la rancune et la rancœur. Il y a la peur dans le cœur des Ivoiriens. Il faut que les religieux sillonnent le pays pour appeler au pardon », avait-il explicité sa pensée chez nos confrères de l’Inter du 20 juillet 2009. Une analyse que ne partagent pas forcément les acteurs politiques qui parlent plutôt de volonté des uns et des autres d’aller aux élections.

Le tribut des populations

Dans l’attente d’élections censées ramener le pays à la paix, les populations continuent de porter leur croix. « Il n’existe plus de nouveau contrat social. Un marché entre le gouvernement, le monde des affaires et les travailleurs. Plus de prospérité pour les Ivoiriens. Aucune sécurité économique pendant les dix ans de pouvoir des refondateurs. Il n’existe plus d’Ivoirien moyen. Encore moins de cadres supérieurs, si ce n’est pas le petit groupe minoritaire de la refondation qui vit sur un grand pied. Les investisseurs ont fui le pays et toutes les grosses entreprises de la place, si elles ne ferment portes, elles partent en fumée. Il faut que les élections aient lieu maintenant », relevait avec beaucoup d’à propos, le maire de Bouaflé, Dominique Adjé, le 13 février dernier. Il ne croyait pas si bien dire. Car, selon l’indice de développement humain, la Côte d’Ivoire est désormais à un rang peu honorable : 163e sur 182. Ce qui traduit bien le fait que l’espérance de vie moyenne est réduite à 41 ans et que deux Ivoiriens sur trois ont à peine la possibilité de s’offrir un repas par jour.

Marc Dossa
Nord-Sud ; mai 18, 2010

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