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Côte d'Ivoire : pro-Gbagbo exilés au Ghana, la revanche dans la peau

Ils se savent surveillés et font profil bas. Un an après la chute de l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, qu'ils ont côtoyé et soutenu, ils sont des dizaines à s'être installés au Ghana, à Accra ou dans les environs. Rares sont ceux qui osent vraiment l'espérer, mais tous rêvent de rentrer. Reportage.

Leurs blagues sont parfois d'un goût douteux. Attablés autour d'une bouteille de vin, dans un maquis de la plage Labadi, à Accra, des hommes plaisantent et moquent les Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI), cette « armée d'analphabètes » qui a précipité leur fuite. Tous sont ivoiriens : partisans de l'ancien président Laurent Gbagbo, ils ont été contraints à l'exil à la chute de leur mentor, le 11 avril 2011. La revanche, ils y pensent tous les jours, en parlent entre eux, mais refusent d'être cités. Aucun n'a digéré l'arrivée d'Alassane Ouattara au pouvoir, mais ils savent qu'ils n'ont rien à gagner à attirer l'attention des autorités ghanéennes. Autour de la table, les plans s'échafaudent. On se prend à espérer que la défaite de Nicolas Sarkozy au second tour de la présidentielle française sonnera la fin du soutien international à Ouattara, et l'on commente les dernières rumeurs de coup de force. L'argent ? Ce n'est pas un problème, assure l'un des convives. « Nos avoirs gelés au pays, c'est de l'argent au frais, une épargne en attendant que l'on rentre. »

Attiéké

Le restaurant tout neuf dans lequel ils aiment se retrouver a été sobrement baptisé « Côte d'Ivoire Ghana » et appartient à Benoît Kamena Brown, président de l'Association des réfugiés ivoiriens de la diaspora (Arid). Autrefois homme d'affaires prospère (il gérait la célèbre « baie des milliardaires » de l'île Boulay, à Abidjan) et ami personnel de Gbagbo, Brown a lui aussi posé ses valises à Accra, où il vit avec femme et enfants.

Ce jour-là, Watchard Kédjébo, ancien directeur de campagne de Gbagbo à Bouaké, ne s'est pas joint à eux. Il a préféré aller manger un attiéké (mets importé de Côte d'Ivoire) dans un restaurant de Tesano, un quartier populaire de la capitale. En Côte d'Ivoire, Kédjébo s'était fait remarquer en créant le Comité national de libération de Bouaké (CNLB), après la rébellion de 2002. Après un an d'exil à Accra, il dit avoir abandonné la voie des armes, mais pas le combat pour faire libérer son ancien président, détenu dans une cellule de la Cour pénale internationale, dans la banlieue de La Haye - un combat qu'il mène aux côtés de Damana Adia Pickass, qui dirige, lui, la Coordination des patriotes ivoiriens en exil (Copie). Pickass n'est pas non plus un inconnu : en novembre 2010, il est le représentant du Front populaire ivoirien (FPI, ancien parti au pouvoir) au sein de la Commission électorale indépendante (CEI). Le 30, c'est lui qui, d'un geste rageur, devant les caméras de télévision, arrache les résultats de l'élection présidentielle qui donnent la victoire à Alassane Ouattara.

À Accra, Pickass s'est imposé comme le leader des patriotes ivoiriens, tandis que Charles Blé Goudé préfère se faire discret depuis que la justice ivoirienne a émis un mandat d'arrêt contre lui.

À Accra, Pickass s'est imposé comme le leader des patriotes ivoiriens, tandis que Charles Blé Goudé préfère se faire discret depuis que la justice ivoirienne a émis un mandat d'arrêt contre lui. Ancien ministre de la Jeunesse dans le dernier gouvernement de Gbagbo et chef emblématique des Jeunes patriotes, Blé Goudé a fui Abidjan par la lagune, quelques jours seulement avant que le bunker où s'était retranché le couple présidentiel ne soit bombardé - une défection qui lui vaut, aujourd'hui encore, des rancoeurs dans son propre camp.

Amitié

Désormais, il vit retranché dans sa résidence de Tema, dans la banlieue d'Accra, et se garde bien de se mêler ouvertement de politique. L'homme se méfie. Il envoie, de temps à autre, des émissaires plaider sa cause et celle de Gbagbo en Côte d'Ivoire, en France, en Gambie ou en Guinée équatoriale. Ses proches, d'ailleurs, assurent qu'il peut encore compter sur le soutien des présidents Yahya Jammeh, à Banjul, et Teodoro Obiang Nguema, à Malabo. À Accra, Blé Goudé se montre peu et exclut, dans l'immédiat, un retour au pays. Il est pourtant resté en contact avec le commandant Ouattara Issiaka, dit Wattao, un proche du président de l'Assemblée nationale, Guillaume Soro. Wattao, Blé Goudé avait été amené à le côtoyer en 2007, après la signature des accords de paix de Ouagadougou. Ensemble, ils avaient organisé des « caravanes de la paix », dans tout le pays, et ils ont gardé l'un pour l'autre ce qui ressemble fort à des liens d'amitié.

Watchard Kédjébo, en revanche, ne se cache pas. Il a conservé son embonpoint et conduit un véhicule immatriculé au Ghana, preuve selon lui que les exilés ivoiriens ne « crèvent pas de faim », contrairement à ce qu'affirment les journaux pro-Ouattara. Contrairement aussi à ce que redoutait au début Benoît Kamena Brown. « Si nous ne faisons rien, nos compatriotes vont mourir de faim et de maladie », avait-il prévenu lorsque nous l'avions rencontré, en juillet 2011.



Neuf mois plus tard, ses craintes ont été déjouées, mais l'exil s'annonce long. Bien peu se disent prêts à rentrer en Côte d'Ivoire. « Chez nous, explique Watchard Kédjébo, quand on recherche quelqu'un, si on veut qu'il se montre, on loue ses qualités. On ne le menace pas. » Dans le milieu des pro-Gbagbo en exil, on juge la politique de Ouattara autoritaire et on ne croit pas à sa « main tendue ». « C'est une main invisible, ironise Touré Moussa Zéguen, autrefois à la tête de la principale milice favorable à Gbagbo, le Groupement des patriotes pour la paix (GPP). Beaucoup ont essayé de rentrer, comme Rodrigue Dadjé, l'avocat de Simone Gbagbo. Mais, une fois à Abidjan, ils ont été arrêtés. » Avec ses cheveux non peignés et la barbe touffue qui lui mange le visage, Zéguen est presque méconnaissable. Lui non plus ne reconnaît pas nourrir des idées de vengeance. « J'exclus tout recours à une opération militaire », martèle-t-il. Et d'ajouter : si l'exil devait durer, « certains jeunes ne nous écouter[aient] plus et pourraient s'engager plus loin que nous le souhaitons. La lutte pourrait être beaucoup plus radicale ». La menace est à peine voilée.

Ambassadeur de Côte d'Ivoire au Ghana, Bernard Ehui Koutouan veut pourtant convaincre de la bonne volonté des autorités ivoiriennes. « L'ambassade facilite le retour des exilés, assure-t-il. C'est ainsi que l'ancien maire de Yopougon, Gbamnan Djidan, et que d'autres personnalités ont pu rentrer. En revanche, ceux qui ont trempé dans des crimes devront d'abord répondre de leurs actes, avant d'être amnistiés s'il le faut. Nous sommes un État de droit. » Preuve de cette « bonne volonté », le retour à Abidjan, le 24 avril, des anciens ministres Henriette Lagou, Théodore Mel Eg et Appiah Kabran, après plusieurs mois passés entre Paris et Accra.

Tous les chemins mènent à l'exil

Accra n'est pas l'unique destination choisie par les ex-partisans de Laurent Gbagbo. Autrefois ministre de la Défense, Moïse Lida Kouassi se rend régulièrement au Ghana, mais s'est établi à Lomé, au Togo. Marcel Gossio, ancien directeur général du Port autonome d'Abidjan, et Amos Béonaho, ex-président de l'Union nationale des journalistes de Côte d'Ivoire (UNJCI), qui, en pleine crise postélectorale, avait été nommé au Conseil national de la presse (CNP), ont transité par Accra, mais ont fini par s'installer au Maroc. Kassoum Fadika, ex-DG de Petroci, serait quant à lui aux États-Unis. L'acteur Sijiri Bakaba, qui dirigeait le Palais de la culture d'Abidjan et qui avait été blessé dans le bombardement du bunker de Gbagbo, est à Paris. Enfin, Paul-Antoine Bohoun Bouabré, ex-argentier de Gbagbo, avait résidé à Cotonou, au Bénin, avant de décéder en Israël, le 11 janvier.


Bernard Ehui Koutouan aimerait associer à ses activités la coordination du FPI en exil. Dirigée par Assoa Adou, ancien ministre des Eaux et Forêts de Gbagbo, la coordination fait profil bas. Pas question de se faire remarquer. Car si, contrairement à son homologue béninois, le président John Atta Mills n'a pas encore décidé d'exécuter les mandats d'arrêt émis par la justice ivoirienne contre certains des anciens caciques du FPI (notamment contre Ahoua Don Mello et Philippe Attey, respectivement porte-parole et ministre de l'Industrie du dernier gouvernement de Gbagbo), il a prévenu Adou qu'il ne tolérerait aucune action de déstabilisation à partir de son territoire. Pour être sûr que le message a été bien compris, les services secrets ont détenu pendant quelques jours, mi-avril, trois responsables du FPI (dont Michel Guédé Zadi, ancien maire de Ouragahio, dans la région d'origine de Gbagbo). Officiellement, c'est parce qu'ils n'avaient pas prévenu la police à temps pour l'organisation d'une manifestation en souvenir du 11 avril. Un signal ferme que les pro-Gbagbo ont parfaitement décrypté. Ils savent qu'Atta Mills a à coeur de rassurer son voisin, qui, souvent, s'inquiète de l'activisme de certains pro-Gbagbo.

Réfugiée à Accra, "Maman Gbagbo" pleure chaque jour son fils emprisonné à La Haye.

Préféré

Au Ghana, il y a aussi - et surtout - plusieurs membres de la famille Gbagbo. Stéphane Kipré, le gendre de l'ancien président, vit à Kumasi, dans le centre du pays, et dément avoir tenté de négocier son retour en Côte d'Ivoire. La mère de Gbagbo, Marguerite Gado, âgée et malade (elle souffre d'arthrose), s'est installée à Accra dans la résidence de Jeannette Koudou, soeur cadette de l'ancien chef de l'État. « Maman Gbagbo », racontent ses proches, pleure chaque jour son fils préféré et avait chargé Jeannette de remettre une lettre à son frère, à La Haye. Celle-ci espérait bien pouvoir s'y rendre à Pâques, mais le visa lui a été refusé. Quant à Nady Bamba, la seconde épouse de Gbagbo, elle gère, depuis sa résidence de Tema, son entreprise Cyclone (qui édite le journal Le Temps).

Dans le fond, ceux qui inquiètent vraiment, à Abidjan, ce sont les anciens militaires. Les ex-ministres de la Défense que sont Bertin Kadet Gahié ou Moïse Lida Kouassi sont les principaux soutiens de ceux que les autorités ivoiriennes qualifient de « conspirateurs ». Il y a là aussi le commandant de la marine, Kacou Brou, alias Maréchal KB, qui fait peu de mystère de ses envies de revanche. Avec plusieurs déserteurs de l'armée, cet ancien pilier de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (Fesci) s'est établi à Takoradi, une localité proche de la frontière ivoirienne.

Dans le fond, ceux qui inquiètent vraiment, à Abidjan, ce sont les anciens militaires.

D'autres combattants se sont installés à la périphérie d'Accra. Pour les rencontrer, il faut se rendre au camp de réfugiés libériens de Buduburam, à une quarantaine de kilomètres de la capitale. L'endroit accueille des centaines d'ex-miliciens et de soldats ivoiriens et doit être déguerpi avant le 30 juin. Mais les mercenaires libériens qui défendaient le bunker de Gbagbo et qui n'ont fui qu'au dernier moment, en s'échappant par la lagune, continuent de lui vouer une admiration sans limites. Dans un français presque sans accent, l'un d'eux, un Kranh (ethnie cousine des Guérés de Côte d'Ivoire) martèle qu'il est prêt à se battre de nouveau « jusqu'à la mort pour Papa Gbagbo », parce qu'il est « un vrai Africain ». Dans ce camp, où circulent drogue et armes, les anciens combattants ont fait allégeance à Jean-Noël Abéhi, autrefois à la tête de l'escadron blindé de la gendarmerie. Celui-ci avait trompé la vigilance de ses geôliers au camp d'Agban (Abidjan), début juillet, et s'est retrouvé à Accra, où il est soupçonné de comploter contre Ouattara.

Verrous

Dans la capitale ghanéenne, on peut aussi croiser le capitaine Clément Zadi, un officier bété (ethnie de Gbagbo) qui avait été chargé du blocus du Golf Hôtel, où étaient confinés Ouattara et son gouvernement pendant la crise. La justice militaire ivoirienne ne s'y est pas trompée et a émis des mandats d'arrêt contre Zadi et Abéhi. D'autres sont déjà sous les verrous. C'est le cas du commandant Anselme Séka Yapo, ancien aide de camp de Simone Gbagbo : d'abord en fuite à Accra, ce pilier du clan Gbagbo a été arrêté, en octobre 2011, à l'aéroport d'Abidjan. Même chose pour le lieutenant-colonel Paulin Gnatoa Katé, interpellé - également à Abidjan - début mars, alors qu'il avait lui aussi passé du temps au Ghana. Les autorités ivoiriennes l'accusent de s'être rendu à Abidjan avec un commando de sept déserteurs en vue de préparer une opération militaire. Il aurait été trahi par un coup de fil venu d'Accra...

Par André Silver Konan, envoyé spécial à Accra ;  Article publié le: 08 Mai 2012 :  Source:jeune afriqueencer à créer votre page, cliquez ici et entrez votre texte

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