Nouveau régime : 100 jours après, ça tâtonne encore

11 avril – 21 juillet 2011. Cela fait exactement 100 jours que la Côte d'Ivoire a changé de régime au pouvoir. Le régime de la Refondation déchu à la suite de 4 mois de crise post-électorale aigüe, a laissé place au pouvoir Ouattara. Un nouveau régime arrivé à la tête de l'Exécutif ivoirien avec beaucoup de promesses, mais dans un contexte calamiteux qui a précédé son avènement. De bons points, l'on ne peut en dénier aux nouveaux dirigeants, depuis leur prise de fonction au sommet de l'Etat.

Sur le front diplomatique, le pouvoir d'Alassane Ouattara se conjugue avec beaucoupde succès. En témoignent la reprise des relations (troubles sous l'ex-régime) avec certaines institutions internationales, le réchauffement et le renforcement de plusieurs axes, notamment sous-régionaux et avec l'Occident - en particulier la France - les audiences qui se multiplient au Palais d'Abidjan, synonymes d'un retour de la Côte d'Ivoire dans le giron des nations fréquentables, etc. Adulé par la communauté internationale, qui l'a aidé à triompher dans son bras de fer autour du fauteuil présidentiel avec son prédécesseur Laurent Gbagbo, l'ancien directeur général adjoint du Fonds Monétaire internationale (FMI) jouit d'une aura toute particulière à l'échelle mondiale, qui se ressent dans l'affluence au quotidien d'émissaires de divers horizons à ses bureaux. Ces bons points s'étendent aussi au domaine de l'économie où des centaines voire des milliers de milliards lui ont été octroyés dès sa prise de fonction, là où l'ancien régime s'est trouvé contraint à ne compter que sur les ressources internes. Dire qu'avec Alassane Ouattara, la confiance est revenue dans les relations on ne peut hypocrites parfois avec les institutions internationales tant politiques que financières, ce n'est qu'une lapalissade au regard de l'engouement autour de son régime.

Hélas, tout cet engouement ne suffit pas encore pour remettre la Côte d'Ivoire, encore dans les profondeurs de l'abîme, sur les rails. Le nouveau régime tâtonne encore à affronter sérieusement les questions de fonds, qui constituent des priorités à la relève de ce pays profondément sinistré. Au plan militaire, c'est maintenant que l'on voit poindre à l'horizon la forme de la nouvelle armée.

Un autre bon point du reste. Cependant, il ne se passe pas de jours sans que l'on n'entende parler dans une région ou dans une autre des déviations d'éléments des Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI), nouvelle armée en voie de création par le nouveau président de la République. Alassane Ouattara et ses collaborateurs ont encore en main un dossier chaud: celui de ces milliers de jeunes recrues, en tenue et en armes, se réclamant des FRCI, mais qui constituent pour une bonne part aujourd'hui le visage de l'insécurité sur l'ensemble du territoire. L'ONUCI pourrait l'attester par ses derniers indices. L'insécurité a atteint son paroxysme en Côte d'Ivoire ces derniers mois. Le gouvernement ne croise certes pas les bras, mais l'équation reste insoluble, au grand désarroi des Ivoiriens qui grognent dans les quartiers, villes et villages sans force régalienne légitime. Plus de brigade de gendarmerie et de commissariat de police fonctionnels jusque-là. A côté de cette épineuse question, celle des militaires en cavale pour qui rien n'est fait pour les inciter à rentrer calmement au pays. Pendant qu'on parle de réconciliation, on attend encore le petit signe de la bonne volonté des nouveaux dirigeants pour booster ce processus à la traine. 100 jours après la chute de Laurent Gbagbo, les Ivoiriens vivent encore la peur au ventre, redoutant de nouveaux bruits de bottes. Chaque jour, les journaux en parlent. La psychose reste de mise. On croirait même que le bras de fer entre LMP ( La Majorité présidentielle) et le Rassemblement des Houphouétistes (RHDP, ex-coalition de l'opposition) continue. Tellement le contexte reste le même. Toujours avec des prisonniers dans un camp et des menaces d'attaque dans l'autre. Rien n'a changé. La tension est toujours vive. Les incertitudes aussi. Même si au plan juridique, on essaie d'accélérer les procédures pour déterminer le sort de nombreux détenus dispersés dans des prisons sur l'ensemble du territoire, la Côte d'Ivoire est encore loin d'avoir renoué avec l'état de droit. Et même la réunification de son territoire. 100 jours après la chute de Laurent Gbagbo, on parle encore de zone CNO (Centre-Nord-Ouest) et même des Forces nouvelles. C'est à croire qu'on a encore les pieds dans la rébellion. Or, ce devait être les premiers signes de la normalisation que le président Ouattara prenne des décisions à ce niveau. Au plan politique, en principe, les élections législatives en Côte d'Ivoire ont lieu deux mois après les résultats de la présidentielle. A ce jour, l'on peut douter que ce scrutin puisse se tenir dans les mois à venir, du moins avant la fin de l'année, à moins de vouloir piétiner à dessein la démocratie dans le contexte actuel. Au niveau social, les populations ont encore les yeux rivés à l'horizon, attendant les solutions à bien de problèmes qui se prénomment éducation, emploi, paupérisation, santé, coût insupportable de la vie, etc. Ces maux qui constituent une bombe à retardement, à côté de la lancinante question de l'insécurité. Que dire de l'économie, domaine si cher au nouveau locataire du Palais d'Abidjan, lui-même économiste et banquier de renom! Ici, on sent beaucoup d'engagement du nouveau régime, qui tente de remettre en place les infrastructures détruites et d'aider certains opérateurs sinistrés à se remettre. Beaucoup d'activités ont repris et les Ivoiriens peuvent encore accorder un état de grâce aux dirigeants. Mais, les chantiers restent énormes et l'impatience gagne les populations pressées de ressentir des embellies dans les assiettes. Jusque là, on continue de tirer le diable par la queue. Mais, 100 jours, ce ne sont que trois mois, et il va falloir patienter encore.Toutefois, la patiente a aussi ses limites. Et les nouveaux dirigeants devraient savoir en tenir compte, car jusque-là, on ne se sent pas vivre dans un Etat. Le non-Etat étant encore plus perceptible que l'ordre dans un Etat.

F.D.BONY ; Publié le vendredi 22 juillet 2011 | L'Inter

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