Désunion africaine au sommet de l'UA

Officiellement, les chefs d'État qui se sont réunis fin janvier à Addis-Abeba ont parlé d'une seule voix et reconnu la victoire d'Alassane Ouattara face à Laurent Gbagbo à l'élection présidentielle ivoirienne. Rarement, pourtant, ils auront été aussi divisés sur ce dossier. Retour sur un sommet crucial pour l'avenir de la stabilité en Côte d'Ivoire.

Regards en coin, moues dédaigneuses… Dans les couloirs du 16e sommet de l’Union africaine (UA), ils ont pris soin de s’éviter. Le premier, Gervais Kacou, est le ministre des Affaires étrangères d’Alassane Ouattara. Le second, Alcide Djédjé, est le chef de la diplomatie de Laurent Gbagbo. Fin janvier, à Addis-Abeba, chacun a œuvré en sous-main pour « son » président, négociant les soutiens en marge de réunions où chaque mot était âprement négocié. Car dans le huis clos des salles de conférences – et de l’aveu même d’un ministre ouest-africain –, « la bataille a été dure, très dure ».

L’UA a, certes, une nouvelle fois reconnu la victoire d’Alassane Ouattara au second tour de la présidentielle du 28 novembre 2010. Mais au fil des semaines, le front anti-Gbagbo s’est fissuré. Rarement la famille africaine aura été aussi divisée. Revue de détail.

Pour ou contre l’intervention militaire

L’Union africaine a-t-elle rétropédalé à Addis-Abeba ? Les partisans d’Alassane Ouattara espéraient que les chefs d’État africains s’aligneraient sur la fermeté affichée jusque-là par la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Mais d’intervention militaire contre Laurent Gbagbo, il a finalement peu été question.

Accusé de tiédeur, l’Algérien Ramtane Lamamra, à la tête du Conseil de paix et de sécurité de l’UA (CPS), s’est défendu : « Nos frères de la Cedeao n’ont jamais dit que la solution militaire était pour demain, a-t-il argumenté. L’usage de la force ne doit être envisagé qu’en dernier recours. » Marche arrière toute ? « On a d’abord envoyé à Laurent Gbagbo des médiateurs qu’il pouvait percevoir comme conciliants, ça n’a pas marché, explique un diplomate africain. Puis on a durci le ton. On a dépêché sur place le Kényan Raila Odinga et on a parlé d’opération militaire. C’est la stratégie du tambour de guerre. Sauf que Gbagbo n’a pas cédé et qu’il va falloir trouver autre chose. »

D’où l’idée du panel, dont l’unique intérêt semble être de donner au camp Gbagbo et à des médiateurs embarrassés un répit supplémentaire. Le temps, peut-être, de laisser la stratégie d’assèchement financier porter ses fruits.

Un panel, pour quoi faire ?

De l’aveu même d’un diplomate de haut rang en poste en Afrique de l’Ouest, « la marge de manœuvre sera très étroite ». Que peut-on encore proposer à Laurent Gbagbo pour qu’il accepte de quitter le pouvoir ? « C’est bien là le problème, il va falloir faire preuve de créativité. »

Cinq chefs d’État – un pour chaque région du continent – ont été désignés pour faire partie du panel. Le Burkinabè Blaise Compaoré représente l’Afrique de l’Ouest, et, même s’il s’est fait discret depuis le début de la crise post­électorale, son soutien pour Alassane Ouattara n’est pas un secret. Face à lui, le Sud-Africain Jacob Zuma, allié et ami de Laurent Gbagbo. Les trois autres chefs d’État – le Mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz (président du panel), le Tchadien Idriss Déby Itno et le Tanzanien Jakaya Kikwete – n’ont pas publiquement pris parti et pourraient jouer les arbitres. Mais le Burkina Faso et l’Afrique du Sud ne risquent-ils pas de se neutraliser ?

« Il faut voir les choses autrement, explique le même diplomate. À ce stade, seuls Compaoré et Zuma peuvent vraiment peser sur leurs poulains respectifs. » Ce comité d’experts de haut niveau va donc se rendre à Abidjan. Il fera ensuite son rapport aux chefs d’État, qui, dans un délai de un mois, présenteront leurs recommandations. Iront-elles dans le sens d’un partage du pouvoir ? « Il ne faut rien exclure », lâche un membre de la commission de l’UA. « C’est hors de question ! » rétorque-t-on dans l’entourage d’Alassane Ouattara.

Zuma, le porte-voix

« Devant le CPS, Zuma s’est fait le porte-voix de dos Santos et de Laurent Gbagbo », analyse un membre de la délégation burkinabè. Le président angolais voue une profonde reconnaissance à Gbagbo depuis que, en 2000, il a fermé le bureau des rebelles de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita) à Abidjan. Du coup, quand en 2002 une tentative de coup d’État manque d’emporter le régime de son ami Laurent, José Eduardo dos Santos lui envoie armes et conseillers. Aujourd’hui encore, plusieurs membres de sa garde rapprochée seraient angolais. « Et puis, explique-t-on côté équato-guinéen, dos Santos se reconnaît en Laurent Gbagbo. Il voit en Ouattara son Savimbi. » Pour ne rien gâcher, Gbagbo a combattu Houphouët, qui était lui-même un allié de l’Unita. Proximité idéologique qui se double d’étroits liens commerciaux (la Société ivoirienne de raffinage s’approvisionnant au Nigeria, mais aussi en Angola). Le président sortant aurait par ailleurs procédé à des transferts financiers vers Luanda pour se mettre à l’abri du besoin.

Bien conscients que c’est là-bas que se trouve le principal soutien à Laurent Gbagbo, le président de la commission de l’UA, Jean Ping, et le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, ont rencontré le chef de la délégation angolaise, qui s’est, semble-t-il, montré assez peu réceptif. Dos Santos, arrivé en cours de sommet, n’aurait pas été plus conciliant.

Jonathan, un médiateur en campagne

De son côté, le chef de l’État nigérian, Goodluck Jonathan, a, le 28 janvier, menacé de claquer la porte, en pleine réunion du CPS, si l’Afrique du Sud s’obstinait à demander un nouveau décompte des voix. Il est aussi l’un des premiers à s’être prononcé, dès début janvier, en faveur de l’option militaire. Mais irait-il jusqu’au bout le cas échéant ? Pas sûr.

Jonathan est un président en campagne, qui espère être reconduit à la tête de son pays début avril. La crise ivoirienne peut lui permettre d’acquérir une stature internationale, mais elle pourrait aussi lui coûter cher dans les urnes.

Afrique de l’Ouest-Afrique australe : le clash

Les membres de la Cedeao ont très mal perçu les prises de position de Zuma. « Quand la Communauté économique des États de l’Afrique australe [SADC, NDLR] va négocier à Madagascar, nous ne nous en mêlons pas ! » s’emporte un diplomate ouest-africain. À Addis-Abeba, la Cedeao a d’ailleurs insisté pour garder la haute main sur le dossier ivoirien. Pas question de laisser l’Afrique du Sud s’en saisir.

Interrogé sur ces divergences au sein de la famille africaine, Jean Ping parle « d’exagérations » et tempère : « L’essentiel, c’est que l’on trouve une solution africaine à un problème africain. » Référence cette fois-ci aux Nations unies, à l’Union européenne et à la France, que l’on a tenu à ramener, pour l’occasion, au simple rang de « partenaires ». « Il ne faudrait pas qu’à chaque fois que nous allumons un feu ce soit les autres qui l’éteignent », conclut-on dans l’entourage de l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema, le tout nouveau président de l’UA.

Dakar et Ouaga embarrassés

À Addis-Abeba, Abdoulaye Wade s’est fait discret. Dans le huis clos du mini-sommet sur la Côte d’Ivoire, qui s’est tenu le 29 janvier en présence de Ban Ki-moon, le président sénégalais a dit – et à plusieurs reprises – son mécontentement de ne pas voir l’attitude de Laurent Gbagbo condamnée plus fermement. Mais en public, motus.

Même discrétion du côté de Blaise Compaoré, du Guinéen Alpha Condé et du Malien Amadou Toumani Touré. « À croire, murmure-t-on dans les couloirs de l’UA, qu’ils se sont passé le mot… » En attendant, une chose est sûre : tous craignent pour leurs nombreux ressortissants installés en Côte d’Ivoire. Ellen Johnson-Sirleaf, la présidente du Liberia, s’en est ouverte à l’un de ses interlocuteurs européens. En Afrique de l’Ouest, de la Mauritanie au Burkina Faso, personne ne tient à devoir accueillir, dans l’urgence, des centaines de milliers de rapatriés. Le risque politique est trop grand.

Sarkozy, étonnamment discret

Un petit tour et puis s’en va. Le 30 janvier, le président français n’a passé que quelques heures à Addis-Abeba. Prudent, sans jamais prononcer le nom d’Alassane Ouattara ou celui de Laurent Gbagbo, il s’est contenté de regretter qu’« un peuple [se] voie bafouer le choix qu’il a librement exprimé ». Peut-être Nicolas Sarkozy a-t-il enfin compris, espère-t-on dans les couloirs de l’UA, qu’il était pour Alassane Ouattara un allié bien encombrant. « Nous sommes tous convaincus de l’injustice que Ouattara a vécue pendant toutes ces années, explique un diplomate d’Afrique centrale. Mais certains parmi nous voient d’un très mauvais œil sa proximité avec l’Élysée. » Jacob Zuma n’a pas caché son agacement face à l’interventionnisme de Paris. Quant au discours anticolonialiste de Laurent Gbagbo, il a trouvé un écho certain auprès des présidents ougandais et zimbabwéen.

 

 

 

 

 

 

 

 

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