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Côte d'Ivoire : terre brûlée

 

Il suffit de parcourir internet, de consulter les blogs qui font florès depuis la chute de Laurent Gbagbo pour mesurer l’ampleur de la tâche qui attend Alassane Ouattara.

Les Ivoiriens, de quelque bord qu’ils soient, ont les nerfs à vif. « Ingérence », « néocolonialisme », « Ouattara l’étranger imposé par la France et l’ONU » : par soif de pouvoir, esprit de clan et instinct de conservation, Gbagbo – que ses zélés défenseurs n’hésitent pas à comparer à Patrice Lumumba ! – lègue à son ennemi intime un héritage empoisonné et nauséabond. Le pyromane joue depuis longtemps avec le feu pour sauver son pouvoir. Il a échoué, mais laisse derrière lui une terre brûlée par les flammes de la haine, de la xénophobie et du nationalisme, sentiments qu’il a patiemment entretenus, et par ailleurs bien commodes pour masquer ses propres turpitudes… Le procédé est vieux comme les dictateurs africains : il suffit de revêtir les oripeaux de grand défenseur de la dignité du continent ou de pourfendeur de l’impérialisme pour gagner les cœurs d’une part importante de la population et de l’intelligentsia africaines. Soyons clair : ceux que ce discours séduit, par aveuglement, naïveté ou paresse intellectuelle, se trompent de combat. Gbagbo c’est Mugabe ou Kibaki, certainement pas Lumumba…

Bédié, Ouattara et Gbagbo se sont battus depuis la mort d’Houphouët pour occuper son fauteuil. Est-ce un hasard si le vainqueur final de cette guerre où tous les moyens auront été permis, même les plus abjects, est celui que ses deux adversaires, passé (Bédié) ou présent (Gbagbo), se sont évertués à exclure avec le concours de cette arme de destruction massive qu’est l’ivoirité ? Laurent Gbagbo a, hélas ! marché sur les traces de Bédié pour incarner ce totem d’un autre âge, représentation quasi bestiale de cette prétendue « vraie » Côte d’Ivoire, pure et assiégée par des hordes d’« étrangers » qui, au passage, ont permis, à la sueur de leur front et grâce à leur savoir-faire, le miracle économique ivoirien…

Voilà où en est aujourd’hui la Côte d’Ivoire : meurtrie, divisée et à genoux. Il lui faudra du temps, beaucoup de temps, pour espérer renouer avec son glorieux passé. Ouattara, « le plus grand diviseur du pays » comme l’a un jour qualifié devant nous Laurent Gbagbo, a la lourde charge de le réunifier. Contrairement à l’image d’Épinal qui lui colle à la peau, il est le mieux placé pour cela, celui qui peut incarner cette Côte d’Ivoire du XXIe siècle, plurielle, ouverte sur le monde, sans complexes ni rancœur. Je le connais, depuis longtemps : il n’est l’homme d’aucune ethnie ni d’aucune religion, ne s’est jamais revendiqué d’une quelconque culture tribale et a toujours clamé que « les Ivoiriens ont besoin de s’ouvrir ». Ses premiers discours et conférences de presse ont d’ailleurs parfaitement illustré cette volonté de réconcilier et de rassembler. Mais il devra conquérir cette autre Côte d’Ivoire qu’incarne – c’est une réalité qu’il serait stupide d’ignorer – Gbagbo.

Ironie de l’Histoire, l’ex-président, lui, finit comme il avait commencé : en prison. Énième épreuve d’un parcours hors du commun, celui d’un véritable combattant. L’adversité, il la connaît depuis son plus jeune âge (son père a été incarcéré, en 1964, pour participation à un complot, transformant le jeune Laurent, 19 ans à l’époque, en chef d’une famille sans le sou). Celui qui a toujours dû se battre face à une multitude d’ennemis (Houphouët, Gueï, Ouattara, Soro, Chirac, Obasanjo, Compaoré, Wade, etc.), ce résistant-né, assiégé permanent, plus doué pour s’arcbouter sur ses positions que pour conquérir, a vu sa forteresse se rétrécir comme peau de chagrin depuis 2000 : un pays, puis une région, une ville, un palais, une résidence et enfin un bunker aux allures de vulgaire réduit enfoui dans un sous-sol. Une bien triste fin pour un homme de cette envergure. Ce personnage central de l’échiquier politique, qui a tant milité pour la démocratie dans une autre vie, aurait pu entrer dans l’Histoire. Il aurait suffi d’un geste, un seul, une poignée de main échangée avec son successeur au début de décembre, pour disperser les oiseaux de mauvais augure qui planent sur la lagune Ébrié.

Dix-sept ans après la mort d’Houphouët, la Côte d’Ivoire est revenue à la case départ, les braises de la haine en plus, qui ne demandent qu’à être ranimées. Aucun de ceux qui lui ont succédé n’aura acquis son pouvoir dans la clarté et la légitimité : Bédié a été élu sans adversaires en 1995, Gbagbo de manière calamiteuse en 2000, et Ouattara, malgré une élection plus honnête et ouverte, quoi qu’en pensent ses adversaires, aura fort à faire pour disperser le nuage de violence et de suspicion qui nimbe sa victoire. Que de temps et de vies perdus…

28/04/2011 à 13h:10 Par Marwane Ben Yahmed, Jeune Afrique

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