COTE D’IVOIRE: L’HEURE DE VERITE

(Paris, 17 mai 2010)

Alors que le contentieux administratif et judiciaire était engagé depuis le 24 novembre 2009 pour l’établissement de la liste électorale définitive, la mouvance présidentielle a dénoncé en janvier 2010, par un communiqué du porte-parole du chef de l’Etat Laurent Gbagbo, une manipulation frauduleuse conçue par le Président de la Commission électorale indépendante (CEI), membre de l’opposition qui contrôle cette structure. Cela a entraîné de fait un report de l’élection présidentielle qui était annoncée pour le mois de mars 2010. Cette manipulation portait sur 429 000 personnes, soit environ 8 % de l’électorat, de la liste litigieuse, dite liste grise, de 1 033 000 enrôlés. Elle n’a fait qu’aviver les soupçons sur la fiabilité de la liste blanche de 5 300 000 qui était toutefois soumise à un croisement populaire par l’affichage des noms des citoyens enrôlés, accompagnés de leurs photos, sur les futurs lieux de vote. Le contentieux engagé le 24 novembre 2009 après l’affichage des deux listes, a été suspendu le 10 février.

Cette volonté manifeste de fraude politique a précipité une crise marquée, le 12 février 2010, par la double dissolution de la CEI et du gouvernement par le Président Gbagbo qui a eu recours à l’article 48 de la Constitution. De violentes manifestations ont été organisées en février, tant dans la capitale économique Abidjan, qu’à l’intérieur du pays, à l’initiative de l’opposition regroupée dans le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) dont les dirigeants affirmaient ne plus reconnaître l’autorité du chef de l’Etat. Dans le Nord du pays en particulier, les saccages ou incendies de bâtiments publics, tribunaux, sous-préfectures et préfectures, symboles de l’Etat, ou de biens privés de proches du chef de l’Etat, se sont multipliés, sans la moindre réaction des Forces nouvelles, ex-rébellion, chargées de la sécurité. Ce laisser faire a posé avec acuité la nécessité d’achever la réunification du pays par le rétablissement de l’autorité de l’Etat central sur tout le territoire.

L’heure de vérité est là. Débusquer les fraudes pour établir une liste électorale ouvrant la voie à des élections transparentes et crédibles, désarmer et garantir ensemble, brigades mixtes et forces impartiales, la sécurité du processus électoral, réunifier totalement le pays en restaurant dans toutes ses dimensions l’autorité de l’Etat et l’unicité de ses caisses, voilà les trois défis à relever pour atteindre vraiment le bout du sentier de la paix.

La nécessaire application des accords de Ouagadougou

La CEI reconstituée dans le même format, à savoir contrôlée par l’opposition, mais désormais présidée par Youssouf Bakayoko, ancien ministre des Affaires étrangères et membre du PDCI comme son prédécesseur Robert Mambé Beugré, le gouvernement laborieusement reformé le 4 mars par le Premier ministre Guillaume Soro qui a voulu y intégrer le RHDP, c’est dans ce contexte que le Conseil de sécurité de l’ONU a examiné le 17 mars la situation en Côte d’Ivoire.

Dans son intervention à New York, l’ambassadeur ivoirien auprès de l’ONU, Alcide Djédjé, a souligné la priorité à accorder à la confection d’une liste électorale fiable pour l’organisation d’élections propres et crédibles, mais il a insisté sur le défi à relever dans le même temps du désarmement et de la réunification du pays, les semaines passées ayant montré les limites du dispositif de sécurité dans les zones Centre Nord et Ouest contrôlées de fait par les Farces armées des forces Nouvelles.

Il a conclu par ces mots : « la Côte d’Ivoire ira aux élections, le plus rapidement possible, si au même moment des progrès importants sont réalisés dans l’application des articles 3 et 8 du quatrième avenant de l’accord de Ouagadougou relatif à la restauration de l’unité de l’Etat sur l’ensemble du territoire qui est la vraie solution à la crise ivoirienne ».

Il est vrai que chaque fois que des dates ont été proposées par la CEI pour la tenue du scrutin, sur le terrain, les évolutions en matière de désarmement ont été particulièrement modestes.

La liste électorale

Où en est-on à la mi-mai par rapport à ces différents objectifs ? Pour l’établissement de la liste électorale définitive, l’annonce a été faite d’un redémarrage du contentieux le 10 mai. En premier lieu, devait être traitée la liste des 1 033 000 citoyens de la liste grise, afin de reverser celles et ceux qui devaient figurer sur la liste blanche définitive selon les procédures définies de façon consensuelle. Mais le 6 mai, l’opposition s’est opposée à ce redémarrage et la rencontre, le 11 mai, entre le chef de l’Etat et l’ancien président Bédié a eu pour principal effet de reporter la marche que l’opposition entendait faire le 15 mai pour exiger la tenue d’élection alors que, paradoxalement, elle entrave la reprise du contentieux.

Dans un second temps, cette liste unique devrait être examinée car de nombreux documents attestent de la réalité de fraudes. C’est ainsi qu’il a été fait commerce d’extraits de naissance ou de certificats de nationalité vierges, pré signés, pré cachetés et pré timbrés. De tels documents ont été respectivement signés par un adjoint au maire de Bouaké répondant au nom de Touré et par un vice-président du tribunal de Yopougon dénommé Coulibaly Ousmane Victor.

Des cas de fraude apparaissent dans le recoupement des données de la liste blanche et de celles de l’état civil. Par exemple, dans la seule ville de Dabou, 889 personnes figurent sur la liste électorale comme étant nées à Dabou alors qu’il n’y en a aucune trace à l’état-civil de cette ville. Nombre de ces personnes sont pourtant nées après 1980! On peut constater de nombreux cas de citoyens dont les parents ou un des parents ont un lieu de naissance différent sur la liste électorale et les registres d’état civil de la ville, le code de la nationalité ivoirien stipulant qu’est Ivoirien celle ou celui dont un des deux parents est Ivoirien. Ainsi, un tel dont le père est né au Mali selon l’état-civil, se retrouve né à Boundiali sur la liste électorale, ce qui peut lui permettre de voter puisque seuls les Ivoiriens peuvent participer à ce scrutin national comme il est de règle dans tous les pays du monde.

En pays rural, dans la sous-préfecture d’Alépé, par exemple, des radiations de personnes figurant sur la liste électorale (trente sept pour le village d’Allosso 2 et quarante neuf pour Gnambo carrefour) sont demandées par les rois, chefs de terre et chefs de village, en raison de leur origine étrangère. Les anomalies se multiplient, notamment avec celles et ceux nés de père et de mère inconnus enregistrés sur la liste électorale…

Le volet militaire

Pour ce qui est du volet militaire des accords de Ouagadougou, l’état des lieux est assez simple à dresser en ce mois de mai 2010. Au sein des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN), on compte 467 éléments venus en 2002 des Forces de défense et de sécurité (FDS), l’armée gouvernementale. Ils doivent bénéficier d’un rappel de soldes, leurs carrières ont été reconstituées, les grades harmonisés comme s’ils étaient restés dans le camp loyaliste. Nombre d’entre eux sont admis à faire valoir leurs droits à la retraite sur la base de la reconstitution de leurs carrières. Les décrets, officialisant toutes ces mesures, ont été signés par le Président de la République le 16 novembre 2009. Pourtant, rien ne bouge sur le terrain.

Les accords complémentaires de Ouagadougou stipulent que le désarmement doit être réalisé deux mois avant la tenue du scrutin. Cela suppose, en premier lieu, la démobilisation des éléments rebelles et des groupes d’auto-défense ou milices favorables à la mouvance présidentielle. Ils devaient bénéficier du service civique, et rejoindre la vie civile contre un pécule de 500 000 francs CFA, soit 750 euros. Les exigences financières de ces objectifs n’ont pas été satisfaite, ce qui retarde le processus En second lieu, les Forces armées des Forces nouvelles ont revendiqué quatre mille postes de policiers et de gendarmes dans le cadre des brigades mixtes déployées pour sécuriser le processus électoral, d’une part, et cinq mille places dans la future Armée nouvelle ivoirienne qui doit être constituée juste après l’organisation de l’élection présidentielle, d’autre part.

Le déploiement de ces brigades mixtes a débuté le 5 mai 2009, mais il n’est effectif à ce jour que dans quelques villes, les Forces nouvelles n’ayant pu fournir qu’un peu plus d’un millier d’hommes sur les quatre mille attendus. Alors que les Forces de défense et de sécurité (FDS) de l’armée gouvernementale ont achevé leur regroupement dès le mois de janvier 2008, le regroupement des cinq mille éléments issus de la rébellion devant intégrer l’Armée nouvelle n’a toujours pas débuté. Il était prévu dans les quatre camps de Korhogo, Bouaké, Séguéla et Man, visités en juin 2009 par le ministre de la Défense, le représentant du facilitateur, les responsables du Centre de commandement intégré (CCI) et les Forces impartiales. Au début de l’année 2010, ces camps n’étaient pas réhabilités pour accueillir ces anciens rebelles devant être formés. Au mois de mai 2010, les FAFN n’étaient en capacité d’aligner qu’environ trois mille hommes dont près de la moitié étaient illettrés, et le premier regroupement d’un millier d’hommes était envisagé à Korhogo en mai .

L’ensemble de ces données pose avec acuité la question de savoir quelle était la réalité de cette rébellion armée, d’où venaient ou qui étaient ces éléments des Forces nouvelles qui ont tenu la dragée haute à l’armée ivoirienne.

Des interrogations demeurent sur le rôle effectif sur le terrain des sept mille cinq cents casques bleus de l’ONUCI encore présents en Côte d’Ivoire. Leur plus hauts responsables participent aux réunions au sommet du CCI. L’ONUCI est présente à l’aéroport d’Abidjan et multiplie les opérations de contrôle dans les casernes des FDS au nom du respect de l’embargo. La surveillance tatillonne de cet embargo va même jusqu’à empêcher les autorités ivoiriennes de s’approvisionner en matériel spécifique nécessaire au maintien de l’ordre, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques en cas de manifestations urbaines. Sans parler de la fourniture de pièces de rechange pour assurer la simple maintenance. En dehors de cette action de surveillance de l’armée gouvernementale, on discerne mal les formes d’engagement de l’ONUCI dans la zone Centre Nord et Ouest du pays. A la différence de la Force française Licorne, les casques bleus ne participent pas aux actions civilo-militaires, selon l’expression du chef d’état-major des armées, le général Philippe Mangou.

L’unicité des caisses de l’Etat

Outre les atermoiements des Forces armées des Forces nouvelles dans l’exécution du volet militaire, la réunification du pays marque le pas dans le redéploiement de l’administration fiscale et douanière et des retards considérables affectent l’administration judiciaire et pénitentiaire. C’est également en mai 2010 que devait s’opérer la réinstallation des postes de douane de l’Etat au Nord et à l’Ouest du pays. A ce déficit des recettes fiscales pour l’Etat ivoirien, vu l’absence d’unicité des caisses dont le rétablissement est annoncé depuis deux ans, s’ajoutent les pertes liées à la situation des régions Centre Nord et Ouest de la Côte d’Ivoire, qui sont, depuis 2002, le marché exclusif des pays voisins avec leurs six millions d’habitants vivant au-dessus de la ligne reliant Man à Bondoukou en passant par Bouaké,.

Les activités économiques, la production de cultures de rente, les transactions commerciales et les transports sont pour l’essentiel du ressort d’ouvriers et d’opérateurs burkinabé, maliens, et guinéens. Le carburant, les produits de consommation courante, comme le riz, le lait et même le sucre, viennent de l’extérieur. Pour la Côte d’Ivoire, le manque à gagner en cacao est supérieur à 200 000 tonnes par an. On peut observer, ces dernières années, la part importante de cette production dans les échanges entre le Burkina Faso et le Ghana dont la production officielle atteint 700 000 tonnes en 2009, ce qui est très sensiblement supérieur à celle de 2002/2003 qui n’atteignaient pas 400 000 tonnes. Il en va de même pour le coton dont la production est aujourd’hui estimée à 150 000 tonnes contre 400 000 en 2001, avant la crise politico-militaire. La Côte d’Ivoire était alors le troisième producteur africain de coton.

Ce phénomène affecte aussi le diamant de la région de Séguéla, malgré l’embargo décrété par l’ONU, et même le bois, sans que l’on puisse donner de chiffres. On peut estimer au moins à 250 milliards de francs CFA par an depuis huit ans le manque à gagner pour les recettes ivoiriennes. En 2000, la région Centre Nord et Ouest représentait 25 % du Produit intérieur brut de la Côte d’Ivoire qui était de l’ordre de 6000 milliards de francs CFA. Ce sont le pétrole, les secteurs du BTP et de la téléphonie mobile qui ont principalement compensé cette perte sèche en raison de la partition du pays. Dans le même temps, les axes bitumés du pays voisin du Nord se sont développés, passant de 1000 à 3000 kilomètres entre 2000 et 2010.

L’existence de la Caisse centrale des Forces nouvelles, sous le contrôle de Moussa Dosso, responsable de l’Economie et des Finances pour les Forces nouvelles et actuel ministre de l’Industrie et de la promotion du secteur privé du gouvernement ivoirien, est un secret de Polichinelle. Cette situation est pour le moins paradoxale au regard de l’exigence d’unicité des caisses de l’Etat ivoirien officiellement réaffirmée par ceux-là mêmes qui garantissent la bonne exécution de l’accord de Ouagadougou. On appréciera la sincérité de l’appel lancé par le ministre Moussa Dosso devant la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI, patronat ivoirien) réunie à la fin du mois d’avril à Yamoussoukro : « c’est à un véritable changement de mentalité que je voudrais inviter l’ensemble de nos concitoyens. Nous devons prôner la bonne gouvernance »… !

Les fonds de cette Caisse centrale sont pour l’essentiel déposés dans les banques de ce même pays voisin de la Côte d’Ivoire dont la capitale s’enorgueillit d’un spectaculaire boom immobilier qui profite à bien des dignitaires de cette rébellion que l’on qualifie d’ancienne. En bref, de la crise politico-militaire qui a déchiré la Côte d’Ivoire et scellé sa partition sont nés des intérêts économiques nouveaux et des réseaux d’affaires dont l’existence entretient le statu quo et retarde l’exécution des objectifs à atteindre pour organiser les élections.

Les rapports de la Côte d’Ivoire avec les institutions de Bretton Woods

Depuis l’obtention, à la fin du mois de mars 2009, du point de décision de l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE), la Côte d’Ivoire est marche vers le point d’achèvement qui signifierait un allégement de 12 milliards de dollars de sa dette extérieure estimée en 2010 à 14 milliards de dollars. Après la venue, en mai 2009, à Abidjan du Directeur général du FMI, Dominique Strauss Kahn, c’est le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, qui y a effectué une visite de travail du 27 au 30 janvier 2010 pour, selon ses propos, soutenir le processus politique et électoral en cours. Il a, bien sûr, lié l’achèvement du processus d’annulation de la dette à des réformes structurelles, en particulier dans le secteur du cacao dont il admet le principe de la transformation sur place, et à la tenue des élections en 2010. Reçu en audience par le chef de l’Etat Laurent Gbagbo à la fin de sa visite, il avait rencontré auparavant le Premier ministre Guillaume Soro et les ministres particulièrement concernés ainsi que, ce qui est singulier pour une visite officielle du Président de la Banque mondiale, les dirigeants de l’opposition.

Le point d’achèvement de l’initiative PPTE dépend du niveau de réalisation des programmes définis par le document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP) dont les pôles régionaux de développement ont été installés au début de l’année 2010, après la tenue, les 25 et 26 septembre 2009, des Etats généraux du ministère du Plan et du développement. On sait qu’après huit ans de crise politico-militaire, près de la moitié de la population ivoirienne vit en dessous du seuil de pauvreté.

Toutefois, après des années de récession, la croissance économique est redevenue positive en 2007 (+ 1,5 %) et elle n’a cessé de progresser (2,3 % en 2008 ; 3,8 % en 2009), malgré l’important manque à gagner engendré par la situation au Nord et à l’Ouest du pays. Artisan du redressement des finances publiques du pays, le ministre Charles Diby Koffi, distingué en février 2010 par le mensuel britannique The bankers du groupe de presse The Financial Times, comme meilleur ministre africain de l’Economie et des Finances de l’année, table sagement sur une progression de 4% en 2010, malgré la situation de crise à l’échelle mondiale. Cependant, les délestages électriques entravant la production et les incertitudes politiques pourraient compromettre cet objectif. Autre signe encourageant de l’économie ivoirienne, souvent ignoré par les analystes et envoyés spéciaux, la bonne tenue du Port d’Abidjan qui, avec plus de 22 millions de tonnes de trafic en 2009, vient de lancer, le 22 avril 2010, un emprunt obligataire de 25 milliards de francs CFA garanti par des Banques régionales.

Après celle de septembre 2009, une nouvelle mission conjointe du FMI et de la Banque mondiale a séjourné en Côte d’Ivoire du 4 au 18 mars 2010 pour analyser l’exécution des budgets du pays et du programme économique et financier de la Côte d’Ivoire appuyée par la Facilité élargie de crédit (FEC), nouvelle appellation de la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC). Malgré la lenteur des réformes structurelles en cours dans les secteurs du café cacao, de l’électricité et de l’eau en particulier, un satisfecit a été accordé à l’issue de cette mission puisque le budget 2009 a été exécuté en conformité avec les engagements pris. L’inflation est contenue ainsi que la masse salariale analysée avec compréhension au regard des exigences de la sortie de crise. Le déficit budgétaire 2009 (-1,6 % qui ferait rêver bien des Etats d’Europe…) est lié à la faible collecte des recettes douanières, aggravée par le non le rétablissement de l’unicité des caisses de l’Etat. Pour la première fois depuis 1998, la croissance par habitant a été positive en 2009. A noter que cette année, le pris bord champ du kilo de cacao sera de l’ordre de 1000 francs CFA, ce qui garantit une amélioration du revenu des producteurs.

Le climat social et politique à l’intérieur du pays

Depuis le mois de janvier 2010, la Côte d’Ivoire connaît une pénurie d’électricité qui affecte sensiblement la population et gêne la production au point rendre incertaines les prévisions en matière de croissance. Cette pénurie a engendré un mécontentement social très perceptible et le chef de l’Etat a fait sur ce sujet une adresse à la Nation le 13 mars. Les délestages fréquents ont d’abord été dus à la panne de la centrale d’Azito produisant 150 mégawatts par jour sur les 875 qui correspondent à la demande moyenne du pays. Cette panne, survenue à la fin du mois de décembre, a été réparée le 17 mars. Mais l’entretien de la centrale Ciprel (110 mégawatts), entraînant un arrêt de sa production pendant un mois et demi, a occasionné de nouveaux délestages en avril, malgré l’importation d’électricité du Ghana (25 mégawatts) et la mise en service de deux centrales d’appoint qui ne devait être achevée qu’en mai, ce qui devrait marquer la fin de la pénurie au prix de la mobilisation de 35 milliards de francs CFA selon le directeur de l’énergie. Les contraintes financières nées de la crise politico-militaire ont freiné les investissements indispensables dans le secteur de l’énergie, retardant notamment la réalisation de projets hydroélectriques comme le barrage de Soubré.

Les autorités ont dû faire face également à des difficultés d’approvisionnement en eau potable, tant à Abidjan qu’à l’intérieur du pays, liées conjoncturellement aux délestages. Pour résoudre le problème de fond, 15 milliards de francs CFA de nouveaux investissements ont été prévus dans le cadre du budget 2010.

Concerné en premier chef par la pénurié d’électricité et les difficultés de la Société ivoirienne de raffinage, le nouveau ministre des Mines et de l’Energie, Komoé Kouadio Augustin, est intervenu pour trouver une solution à la grève massive des transporteurs et des taxis déclenchée par une hausse des prix du carburant. Cette grève d’une semaine, engagée le 12 avril, mais suspendue après la décision de baisser de 30 francs CFA le prix du litre de diesel, risquait d’affecter les exportations de cacao et d’engendrer une pénurie alimentaire.

Les autorités ivoiriennes se sont engagées de façon volontariste sur les secteurs de l’énergie, de l’eau et des transports car le contexte politique s’est brutalement tendu depuis le début de cette année 2010 suite manipulations frauduleuses des listes électorales.

L’opposition, qui est allée très loin, en février, en affirmant ne plus reconnaître l’autorité du chef de l’Etat et en appelant ses partisans à prendre la rue, a finalement remis à plus tard sa marche prévue le 15 mai pour protester contre le report des élections alors que sa propre action ne cesse de les retarder.

La tenue de l’Assemblée générale de la Banque africaine du développement (BAD), les 27 et 28 mai 2010 à Abidjan, préfigurant son retour dans la capitale économique ivoirienne alors qu’elle est délocalisée à Tunis depuis 2003, est un enjeu politique et économique trop important pour qu’il soit compromis par la détérioration du climat social.

Depuis le début de cette année 2010, la campagne électorale a pris d’autres formes sur le terrain. Les candidats du PDCI et du RDR, Henri Konan Bédie et Alassane Dramane Ouattara, n’ont pas repris leurs tournées à l’intérieur du pays où ils avaient multiplié les meetings en 2009. De son côté, le Front populaire ivoirien (FPI) a renoué avec la traditionnelle fête de la Liberté, du 29 avril au 2 mai, à l’occasion du vingtième anniversaire de la reconnaissance du multipartisme. Cette démonstration de force dans son fief de Yopougon, commune du district d’Abidjan, a été l’occasion de donner un nouvel élan à la campagne de son candidat, Laurent Gbagbo, qui y a fait une intervention, le 2 mai, appelant le FPI « à ouvrir les bras », sans doute dans la perspective des échéances électorales, mais aussi au-delà.

L’épisode de la formation du nouveau gouvernement, qui a duré du 12 février au 4 mars, a sans doute affecté les relations qui semblaient sereines au sommet de l’Etat. La rencontre fortement médiatisée, le 11 avril, à Abidjan entre le chef de l’Etat et Laurent Gbagbo et son Premier ministre Guillaume Soro, qui a fait suite au tête-à-tête entre les Présidents Gbagbo et Compaoré, le 1 er avril, à Bobo Dioulasso au Burkina Faso, a sans doute été l’occasion de rappeler les fondamentaux qui avaient uni les signataires de l’accord politique de Ouagadougou.

Les violentes polémiques sur la question du désarmement entre le Front populaire ivoirien (FPI) et les Forces nouvelles, l’appel lancé au Premier ministre par le Président du FPI, Pascal Affi Nguessan, à démissionner s’il ne parvenait pas à rendre effectif le désarmement, reflétaient une réelle perte de contrôle de Guillaume Soro sur la zone Centre Nord et Ouest. On pouvait ressentir que la plupart des commandants des zones militaires rebelles étaient encore très sensibles à d’éventuelles aventures militaires. Ces désaccords au sein des Forces nouvelles se sont traduits par des affrontements entre factions rivales, faisant trois morts à Bouaké le 29 avril. Le comportement de certains commandants de zone, par ailleurs très proches d’Alassane Dramane Ouattara, semblait plutôt étranger à un esprit de conciliation politique nécessaire à l’organisation des élections, esprit que le nouveau Président de la Commission électorale indépendante, Youssouf Bakayoko, appelle en vain de ses vœux depuis sa prise de fonction à la fin du mois de février.

Une diplomatie africaine active

Cette tension politique intérieure, qui a caractérisé la situation en Côte d’Ivoire de janvier à mai 2010, a été contrebalancée, on l’a vu, par le maintien des grands équilibres macro-économiques du pays, mais aussi par une diplomatie active avec les partenaires africains.

Le Président Gbagbo a reçu à Yamoussoukro, les 12 et 13 janvier, le nouveau président du Gabon, Ali Bongo Ondimba, en provenance de Ouagadougou. Celui qui, peu après son élection en 2009, avait maladroitement comparé l’opposant Gbagbo à son opposant gabonais Pierre Manboundou, semblait mieux disposé à l’égard de son homologue dont il a dit attendre « quelques conseils judicieux ». Puis, le chef de l’Etat ivoirien s’est rendu, du 22 au 24 janvier, en visite officielle de travail, en Guinée équatoriale avec laquelle se renforcent des liens de coopération technique, tant dans le domaine agricole que dans le développement des infrastructures.

S’il n’a pu participé au sommet des chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le 16 février à Abuja, au regard de la situation très tendue qui prévalait alors en Côte d’Ivoire, le Président Gbagbo a exprimé sa volonté d’entretenir des relations apaisées avec ses voisins et plus largement avec les pays de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Il a accueilli son homologue cap-verdien Pedro Pires, au lendemain du sommet de la CEDEAO.

A la mi-mars, les excellentes relations entre la Côte d’Ivoire et le Ghana ont conduit le Président Atta Mills à soutenir son voisin pour résoudre le problème de pénurie d’électricité. A cette occasion, il a affirmé que la découverte d’un gisement pétrolier à la frontière maritime entre les deux pays ne pourrait en aucun cas perturber l’excellence de ces relations.

Le Président ivoirien s’est rendu au Sénégal à l’occasion de la célébration, le 4 avril, du cinquantenaire de l’indépendance de ce pays, alors que les relations avec son homologue sénégalais n’étaient pas empreintes de chaleur. Il a reçu, du 13 au 15 avril, le Président par intérim de la Guinée, le général Sékouba Konaté. Après la mise à l’écart du turbulent capitaine Dadis Camara, cette rencontre était une marque d’appui à la transition engagée dans ce pays stratégique au regard de sa position géographique par rapport à la zone jadis contrôlée par la rébellion ivoirienne. Promesse a été faite de relancer la grande commission mixte ivoiro-guinéenne.

Mais c’est sans doute la venue à Abidjan, le 22 avril, pour une visite d’amitié et de travail du Président du Sénégal, Abdoulaye Wade, une marque de remerciement au Président Gbagbo présent à Dakar moins de trois semaines auparavant, qui a le plus marqué cette phase diplomatique en Afrique de l’Ouest. A cette occasion, Abdoulaye Wade a rendu hommage au panafricanisme de son homologue et a rencontré tous les acteurs politiques ivoiriens, précisant que « tout le monde ne peut devenir Président ». Même s’il a assuré, dès son arrivée, n’être « pas venu faire de la médiation », il s’est vu très diplomatiquement remercié pour sa contribution directe à la résolution de la crise, y compris par le représentant du facilitateur, Boureima Badini.

Enfin, le Président ivoirien s’est rendu à Lomé pour l’investiture, le 3 mai, du Président Faure Gnassingbé, passant par Conakry, en Guinée, saluer son homologue guinéen qu’il avait récemment accueilli, avant de regagner Abidjan. Ayant bénéficié de solides soutiens, en particulier de l’Angola et de l’Afrique du Sud, aux moments les plus sombres de la crise, le chef de l’Etat ivoirien a su créer un climat de confiance avec ses homologues au sein même de l’espace francophone.

La résolution 1910 adoptée, le 28 janvier 2010, par le Conseil de sécurité de l’ONU, a prorogé le mandat de l’ONUCI jusqu’au 31 mai 2010, une mise à jour sur la situation ayant été faite à la mi-mars. Une mission d’évaluation technique de l’ONU s’est rendue au Burkina Faso à la mi-avril après avoir séjourné en Côte d’Ivoire où elle a rencontré tous les acteurs politiques du pays.

De son côté, la France, dans le contexte politique tendu qui prévalait en Côte d’Ivoire, s’est gardée de toute déclaration officielle qui aurait pu être jugée inopportune, même si le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, n’a pas dissimulé son hostilité au Président ivoirien, notamment lors de son audition, le 22 décembre 2009, devant la Commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale. Le Président Sarkozy semble lui avoir préféré le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, comme interlocuteur éventuel du Président ivoirien.

La Côte d’Ivoire sera représentée par le Président du Conseil économique et social, Laurent Dona Fologo, au prochain sommet des chefs d’Etat de France et d’Afrique, les 31 mai et 1 er juin prochain, à Nice. L’invitation, lancée par Paris au Président ivoirien, à participer, le 14 juillet 2010, à la célébration du cinquantenaire des indépendances africaines est logiquement restée sans réponse.

Guy LABERTIT
Conseiller du Président de la Fondation Jean-Jaurès
pour l’Afrique et l’Amérique latine ; mai 18, 2010

Je demande à Monsieur Guy Labertit de relir l'accord complémentaire 4 de Ouagga et de traduire fidélement son contenu relatif au volet militaire du processus de sortir de crise. En tant que chercheur, il gagnerait à se rendre en Côte d'Ivoire pour faire lui-même ses propres  recherches sur la situation de crise que vit ce pays, au lieu de se contenter de reécrire les papiers que ses amis de la refondations lui expédient. Par eburnie

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