CONTRIBUTION – « J’ACCUSE » par Christian Félix Tapé

Est-ce vraiment venu le moment des bilans ? Si les trompeurs de la République n’ont pas de nouveau trompé, dans quelques semaines l’électorat ivoirien devrait exercer enfin son droit au libre choix de celui à qui confier le destin du pays pour les cinq prochaines années. Alors la Côte-d’Ivoire pourrait se réjouir de voir se refermer la parenthèse de l’ignoble et inutile crise qui dure depuis le 18 septembre 2002, et surtout d’avoir un Président désormais unique responsable de la gestion de l’Etat sur toute l’étendue de son territoire pratiquement réunifié. C’est une étape décisive ; l’enjeu est historiquement très engageant.
Nous n’étions pas présents en 1960. Mais en 2010, l’idée de se trouver à un carrefour symbolique demeure la même ; les interrogations aussi sont les mêmes. D’où venons-nous et où allons-nous ? Qui étions-nous hier et qui voulons-nous être demain ? Laissant ensuite aux générations suivantes la faculté de s’interroger à leur tour. Ces interrogations portent en elles l’invitation obligatoire à faire un bilan, à comparer l’actif et le passif, les profits et les pertes du temps écoulé. Les attitudes conséquentes n’étant sûrement pas les mêmes dans l’un et l’autre cas.

Quel est le bilan des cinquante ans de la Côte-d’Ivoire ? Était-il politiquement correct de lui infliger un solde positif ou négatif comme se limiteraient à le faire les comptables ? L’équilibrisme politique est de loin plus préférable parce que l’équation est complexe et la période très sensible. Dans tous les cas ce qui compte c’est comment éviter de répéter les erreurs du passé.
Le cinquantenaire de notre indépendance a coïncidé en 2010 avec la recherche de solutions pour sortir de la crise. Mais les deux engagements n’ont pas été jumelés d’abord pour ne point perturber le processus de paix depuis longtemps en cours, mais surtout pour privilégier le caractère universel des indépendances africaines. Du beau travail scientifique et intellectuel pour l’académie des sciences et cultures, mais sans implications effectives sur le quotidien immédiat de la nation ivoirienne. En Jumelant les deux réflexions, il aurait été judicieusement créé une occasion nationale des « Etats généraux sur la Refondation de l’Etat de Côte-d’Ivoire ». L’occasion a été perdue.

Même sans le cinquantenaire, la crise en cours est assez suffisante pour imposer un bilan et des interrogations du même genre. Malheureusement, les passions qui ont dominé cette phase de notre histoire n’ont jamais permis des réflexions allant au-delà du souci de trouver des solutions aux motivations des rebelles. Pendant bientôt dix ans les politiciens ont laissé croire que ces motivations sont les seuls et vrais problèmes de l’Etat ivoirien. Ce qui est archi faux. Pour l’instant il faut patiemment attendre qu’une autre occasion se présente.

C’est vrai qu’on ne peut tout faire en même temps. Mais il est encore plus vrai qu’une crise est une précieuse et parfaite occasion de changement. Il est préférable d’en profiter.

Faire la politique comporte le courage de faire des choix et de les assumer. Pour Ahmed Sékou Touré par exemple, l’indépendance équivalait à choisir entre la pauvreté et la richesse aliénante, entre la liberté, la dignité et l’esclavage. Pour Houphouët Boigny et beaucoup d’autres encore, cela équivalait à être protagoniste de son propre devenir sans perdre de vue la complémentarité entre les Etats africains et l’ancienne métropole, la France.

Ce qu’est la Côte-d’Ivoire d’aujourd’hui, c’est l’expression de ce choix. Tout comme la Guinée et tous les autres pays d’Afrique. Dans ces expressions politiques, on trouve la nature des respectifs régimes nationaux, radicaux ou modérés, révolutionnaires ou conservateurs, gradualistes, etc.

La Refondation hypnotisée par Laurent Gbagbo et le FPI au début des années 1990 est l’expression de la remise en cause du bilan de l’ère houphouetiste. Car il ressort de leur littérature de ces années qu’après la proclamation de l’indépendance en 1960, le farouche combattant Houphouët a renoncé à la bataille de libération effective. Il s’avérait donc opportun et obligatoire de reprendre le même combat. Mais il ya problème : historiquement il y eut un Houphouët anti colonialiste et un houphouet néocolonialiste. L’un n’est concevable sans l’autre. Lequel de ces deux Houphouet le FPI combattit-il en réalité ? Lequel récupère-t-il et dont il brandit l’image contre le PDCI ?

Dans tous les cas aucun choix ne reste impuni. Les chrétiens disent qu’à chaque instant l’homme est appelé à choisir entre Dieu et le diable, entre la lumière et les ténèbres. En politique l’homme politique est partagé entre la gloire de ses propres ambitions et celle des aspirations du peuple. Par exemple Sékou Touré avait motivé le « NON » disant que la date du 28 septembre coïncidait avec l’anniversaire de la persécution par le colonialiste, de ses deux arrière-grands parents morts en exil. Houphouët avait dû renoncer à la lutte progressiste radicale pour ne pas dit-il, donner au colon, d’argument pour justifier l’extermination de son peuple. Ainsi s’est motivé le choix qui a produit la Côte-d’Ivoire moderne condamnée à la refondation.

Mais attention ! Si le FPI « s’houphouétise » de nos jours dans un but exclusivement électoraliste, c’est un boomerang dont les effets ne se feront pas longtemps attendre ; mais s’il le fait par conviction politique, cela signifie qu’il a compris le choix que fit Houphouët d’abandonner la lutte radicale contre la métropole. Et ce sera tant mieux pour les amis néocolonialistes qui ne démordent pas. Mais tôt ou tard c’est là aussi un aveu qui lui sera inévitablement fatal. Car cette inconnue n’était pas au programme de la mission orthodoxe refondatrice. Et donc venant ainsi la compliquer davantage, elle la rend suicidaire.

Mais cela ne déblaie point pour autant le chemin aux autres. Pourquoi ? A nous revoir le mois prochain.

Source : connectionivoirienne.net, le 31 Août 2010

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