Affaire Désiré Tagro – Dr. Séraphin PRAO dénonce les intellectuels collabos

(Photo à la Une JB Akrou)

« Le tort de Koulibaly » : voici le titre de l’éditorial de Jean Baptiste AKrou du 5 juillet 2010. L’éditorialiste a voulu certainement prendre position dans l’affaire « Tagro » mais le titre de l’éditorial est provocateur. Dans le dictionnaire HACHETTE ENCYCLOPEDIQUE, année 2000, un tort se définit comme une action, un comportement, une pensée contraire à la justice ou à la raison. Avoir tort, c’est n’avoir pas pour soi le droit, la vérité. Donner tort à quelqu’un, c’est condamner ses idées, sa conduite. Dès lors, nous pouvons affirmer que Jean Baptiste AKrou fustige la conduite, les idées du professeur Mamadou Koulibaly. Et pourquoi ? Parce que la conduite et les idées du n°2 de l’Etat seraient contraires à la justice et à la raison.

Dans ce genre d’affaire, il nous semble qu’une analyse lucide et profonde nécessite de répertorier les idées du professeur Mamadou Koulibaly et de les confronter à la justice et à la raison. Nous allons nous contenter de citer en tout cas, les idées et la conduite qui sont décriées dans l’éditorial en question.

Fondamentalement, Jean Baptiste AKrou reproche au professeur Mamadou Koulibaly de faire perdre des voix au FPI parce qu’il critique les inconduites des refondateurs, vit comme un homme de gauche (sobrement), défend l’idée d’une monnaie propre aux africains. Voici ce qui retient mon attention à la lecture du fameux éditorial de Jean Baptiste Akrou.

Nous allons donc montrer dans un premier temps que Mamadou Koulibaly est un homme d’Etat donc au-dessus des partis politiques. Dans ce cas, il peut critiquer ses amis du FPI si ces derniers n’agissent pas dans l’intérêt du peuple. Dans un deuxième temps, nous relèverons la constance de Mamadou Koulibaly dans ses idéaux : il est de gauche et il ne vit pas dans l’opulence injurieuse. Dans un troisième temps, nous démontrerons que le combat contre le franc CFA est d’abord celui de notre indépendance : Mamadou Koulibaly n’a donc pas tort.

DEFENDRE LE PEUPLE OU LES CORROMPUS DU FPI

Dans l’affaire « Tagro », ceux qui condamne le professeur Mamadou Koulibaly réagissent ainsi : le FPI est en campagne, même si certains pillent le pays, trichent dans les concours, créent de l’injustice sociale, ce n’est pas grave.
Dieu merci qu’il existe dans notre pays, une autre espèce d’Hommes qui pensent que Rien n’est plus grand que défendre l’intérêt du peuple. Le professeur Mamadou Koulibaly se situe dans cette catégorie d’hommes politiques, ayant compris ce que c’est que la responsabilité politique. Il est vrai qu’aux temps du Parti unique, on pouvait dénombrer de nombreux détournements et malversations pour autant cela ne justifie point le silence dans lequel l’on veut installer Mamadou Koulibaly.
Le FPI qui se dit un parti proche du peuple voudrait laisser de côté les préoccupations de ce peuple pour ne penser qu’à la réélection de Laurent Gbagbo.

Voici ce que Jean Baptiste Akrou écrit : « Même s’il avait raison, Mamadou Koulibaly a commis une faute politique sur l’opportunité de sa campagne pour la moralisation de la vie publique. Il est des vérités qu’un responsable politique garde enfouies en lui. Il en évoque dans ses mémoires et non quand il est en activité ».
Mais diantre, on demande à Mamadou Koulibaly d’évoquer la souffrance, le mal être des ivoiriens dans ses mémoires lorsqu’il sera à la retraite. Je doute fort que Jean Baptiste Akrou soit de gauche car de telles déclarations ne sont en réalité que le propre des égoïstes, ennemis du peuple.
Le parti politique étant une tribune d’expression d’une partie du peuple, le n°2 de l’Etat a trouvé bon de défendre tout le peuple et non les intérêts d’un groupuscule assoiffé de pouvoir.

Lorsque le peuple a été désabusé par le général Robert Guei, il est descendu dans les rues contre les chars pour remettre le pouvoir à Laurent Gbagbo. Le même peuple s’est érigé en « un corridor humain » pour protéger et la vie et le pouvoir du président Gbagbo lorsqu’il voulait résister aux français. Pourquoi donc faire souffrir ce peuple qui ne veut que le changement ?
Un jour, le président Laurent Gbagbo lui-même, peut-être dépassé par les événements se lâchait en ces termes : « Les gens détournent par-ci, détournent par-là, ils font des rackets par-ci, des rackets par-là. Les policiers ont  » gâté  » leur nom parce que tout le monde les voit. Mais ils ne sont pas les seuls à racketter. Quand tu vas dans un bureau et qu’on te prend l’argent pour faire un papier auquel tu as droit, c’est du racket. On voit tout et on entend…. On entend ici, un tel vole dans la direction qu’on lui a confiée, un tel vole sur la route, mais quand nous volons, c’est nous-mêmes que nous volons… ». Ainsi, la prestigieuse Ecole Nationale d’Administration(ENA), l’Ecole Nationale de Police (ENP), l’Ecole Nationale de la Gendarmerie (ENG), l’Ecole Normale Supérieure (ENS) sont devenues le lieu où se fait la promotion des nuls.
Face à ces dérives, selon Jean Baptiste Akrou, Mamadou Koulibaly doit se taire car cela affecterait négativement le FPI.
Décidemment, la fin de la souffrance du peuple ivoirien n’est pas pour aujourd’hui. Le peuple voulait avoir le cœur net sur cette affaire « Tagro » mais une fois encore, il est floué. La Commission des affaires sociales et culturelles du parlement a siégé le 7 juillet 2010, toute la journée, à l’Assemblée nationale pour statuer sur la proposition de résolution portant création d’une enquête parlementaire sur les concours d’accès aux emplois publics. En fait, une commission d’enquête parlementaire chargée de mener des investigations sur l’organisation et la proclamation des résultats de tous les concours d’accès aux emplois publics qui se sont déroulés entre 2005 et 2010 a été crée. Malheureusement pour le peuple ivoirien, quinze députés ont voté contre ce projet, quand treize ont voté pour.
Cela signifie simplement que certains députés du FPI ne veulent pas sortir de la saleté dans laquelle ils sont établis et ne sont pas pour la justice sociale. Et pourtant ils sont de gauche.

ÊTRE DE GAUCHE, C’EST VIVRE SOBREMENT ET DIGNEMENT

Si l’on peut regrouper sous un même sceau philosophique et leur trouver un fondement conceptuel unique, on dira que la Refondation défend les idées de gauche puisque l’histoire contemporaine l’identifie à quelques principes : la nécessité d’une régulation collective, une action politique tournée autour de l’idée de justice, une priorité économique accordée à l’idée d’égalité, un scepticisme vis-à-vis de toute forme de déterminisme politique. Si Mamadou Koulibaly est un homme de gauche alors qu’a-t-il fait pour avoir tort ? Voici ce que l’on lui reproche : « Koulibaly n’aime pas se conformer aux règles de bonnes convenance. Dans la vie quotidienne, faisant entorse aux précautions élémentaires, il est régulièrement au volant de son véhicule, roulant sur de longues distances en Côte d’Ivoire et parfois jusqu’au Ghana. Sans chauffeur, ni garde du corps. Il fait fi du protocole et de la sécurité. Il entend transposer cette perception de la liberté dans l’arène politique… ».

Le professeur Mamadou Koulibaly est avant tout un député, élu du peuple, en tant que tel, il doit vivre les préoccupations de ces administrés, c’est d’ailleurs cela un homme politique.
Pendant que les ivoiriens peinent à boucler les fins de mois, pendant que l’injustice sociale a atteint son paroxysme, on demande au défenseur de la liberté du peuple de fermer sa bouche alors que le peuple a beaucoup à dire. Les ivoiriens n’arrivent plus à se vêtir, à manger, à se soigner pendant qu’une poignée vit dans une richesse la plus insolente et injurieuse.

En France, le président SARKOZY a viré du gouvernement français, Alain Johandet et Christian Blanc depuis le 04 juillet dernier. Tous deux secrétaires d’Etat l’un à la Coopération et l’autre à l’aménagement du Grand Paris. Le premier s’est permis de louer un avion privé à 116.000 Euro, soit plus de 58 millions de FCFA en vue de se rendre en Martinique, pour participer à une réunion sur Haïti. Le second avait l’habitude d’importer des cigares de Cuba pour un montant total de 12.000 Euros, soit plus de 6.000.000 de FCFA avec l’argent du contribuable.

Et pourtant, Nicolas SARKOZY n’est pas de gauche : quelle leçon de démocratie à la gauche ivoirienne !

En vérité, Jean-Baptiste Akrou s’est vraiment ridiculisé en préconisant le silence là où des délits sont constitués. La gabegie que nous constatons depuis quelques années dans notre pays, n’est pas ce que le candidat Gbagbo nous avait promis lorsqu’il était dans l’opposition. Il avait promis des sanctions lourdes contre ses amis s’ils se méconduisaient.

Aujourd’hui, parce que sans doute fautifs, certains députés FPI réclament l’extension de la période d’enquête de sorte à toucher le temps “des grilleurs d’arachides” d’Houphouet-Boigny, les affaires de surfacturation des complexes sucriers, des dépenses non ordonnancées et autres affaires relatives aux 18 milliards FCFA de l’Union européenne.
En fait, le message que ces derniers délivrent au peuple est clair : sous le parti unique, ils ont volé, qu’on nous laisse tranquillement voler également.
C’est triste de penser ainsi car c’est parce que les ivoiriens ne supportaient plus cette manière de gérer le pays qu’ils ont voté le candidat Laurent Gbagbo en 2000. Pourquoi donc ressasser cette vieille musique périmée depuis pour en faire un plat de fête ?

MAMADOU KOULIBALY N’EST PAS UN RÊVEUR LORSQU’IL PRÔNE LA DECOLONISATION DU FRANC CFA

On peut concéder à Jean Baptiste Akrou sa méconnaissance des questions monétaires, cependant son manque de réserve face à un sujet aussi technique et politique qu’est le débat sur le franc CFA est dérangeant. Descartes met en œuvre ce doute méthodique dans les Méditations métaphysiques. Son but déclaré est de distinguer, parmi se opinions, lesquelles sont vraies. Il veut identifier les connaissances que l’on peut tenir pour vraies sans aucun risque d’erreur. Il est vrai que douter, c’est reconnaître que l’on ne sait pas et que l’on ne parvient pas à atteindre la vérité mais le doute dont nous parlons est un doute provisoire. Bref, laissons de côté le débat philosophique pour essayer d’expliquer le bien fondé de notre combat contre le franc CFA.

Définissons la monnaie comme une créance à vue sur le système bancaire. Dès lors, la monnaie ne peut-être dissociée du système de paiement. Or ce dernier est propre à une communauté donnée. Du coup, chaque communauté de destin doit pouvoir avoir sa monnaie. C’est une première démonstration simple qui nous indique que les pays africains de la zone franc doivent avoir leur monnaie.

L’éditorialiste Jean Baptiste Akrou doit savoir que la souveraineté est le principe d’autorité suprême. Or, la monnaie renvoie au prince et généralement à l’organisation politique de la société. La monnaie de ce fait est inséparable d’un ordre ou d’un pouvoir. A tout système monétaire est assignée une limite, qui est celle de l’acceptation des moyens de paiement. Ainsi l’aire d’extension du système de paiement se confond avec celle de la souveraineté de l’institution émettrice de la monnaie légale. Robert Joseph Pothier, un des inspirateurs du code civil français écrivait, à propos de la monnaie métallique « ces pièces n’appartenant aux particuliers que comme signe de la valeur que le prince a voulu qu’elle représentassent, dès lors qu’il plaît au prince que ce ne soient plus ces pièces mais d’autres qui soient les signes représentatifs de la valeur des choses, les particuliers n’ont plus le droit de retenir ces pièces ». En fait, la monnaie a un lien avec l’Etat, elle n’est pas tout l’Etat et l’Etat n’est pas toute la monnaie.
Voyons maintenant comment est née cette monnaie (franc CFA). La formation d’une zone économique impériale, protégé de la concurrence extérieure et fondée sur la complémentarité des productions coloniales et métropolitaines, passait par la création d’un espace monétaire commun. Le franc CFA est officiellement né le 26 décembre 1945, jour où la France ratifie les accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de parité au Fonds monétaire international (FMI). Il signifie alors « franc des colonies françaises d’Afrique ». Le décret lui, prit effet le 26 décembre 1945. Ce décret fixe une nouvelle parité entre le Franc et le Franc des Colonies Françaises d’Afrique, ainsi que les francs des Colonies Française du Pacifique. Des unités monétaires d’inégales valeurs furent instituées pour chacune des régions. C’est aussi l’occasion d’affirmer l’unité car le communiqué du ministre des Finances parle de « Constitution de la zone franc » et ce sera la première fois que le terme est utilisé officiellement. Certains pays ont choisi, lors de l’indépendance ou après, de quitter la zone franc coloniale : Algérie (1963), Maroc (1959), Tunisie (1958), Mauritanie(1973), Madagascar(1973), Guinée (1958), l’ex- Indochine (Cambodge, Laos, Viêtnam) en 1954. Le Mali l’a quittée en 1962 pour la réintégrer en 1967. Les pays comme le Maroc, la Tunisie sont en voie d’être des pays émergents, non avec le franc CFA mais leurs monnaies propres.
Avec la zone franc, le France voulait conserver son aire d’influence, mais aussi, consolider des liens un temps menacés par les aspirations à la souveraineté. La construction de cette zone est due à des facteurs commerciaux (une partie importante des échanges se faisant avec la France), financiers (faciliter le paiement des flux financiers) et politique. Cette tutelle monétaire assure le contrôle des économies de la zone et garantit les bénéfices des capitaux français en assurant la convertibilité illimitée, la parité fixe avec l’euro et surtout la liberté des transferts.
Jean Baptiste Akrou doit savoir que si la Côte d’Ivoire veut son indépendance politique et économique, elle doit d’abord acquérir sa souveraineté monétaire car le professeur Pierre KIPPRE disait lors de la cérémonie d’ouverture du cinquantenaire de la Côte d’Ivoire qu’« on ne détruit pas un système en abattant seulement les murs ». Ce n’est pas lors d’un meeting qu’on prend son indépendance vis-à-vis de la France mais en commençant par travailler dur pour asseoir une économie locale très forte, une monnaie gérée par nous-mêmes.

Le franc CFA, en tout cas, dans sa gestion, dépouille les africains de tous les leviers qui permettent un développement autocentré. On oblige les africains à compromettre leur développement par le respect scrupuleux de certaines règles orthodoxes. Le mythe de la convertibilité illimitée n’est que mensonge et arnaque. Encore plus le fameux « compte d’opérations », terme inconnu des milieux académiques mais bréviaire des milieux financiers de la zone franc. Comment peut-on remettre le pouvoir monétaire, un des attributs du pouvoir à son ennemi ?

Si Jean Baptiste Akrou ne connaît rien de la monnaie, ce n’est pas grave mais qu’il n’accuse pas Mamadou Koulibaly de rêveur qui veut une autre monnaie que le franc CFA. Nous plaidons pour une monnaie décolonisée, c’est-à-dire qui ne sera pas sous la tutelle de la France mais bien des africains. Est-ce moralement et économiquement acceptable de déposer 50% (BCEAO) de nos réserves de change dans un Trésor français ? Si des intellectuels acceptent cette servitude, nous disons tout simplement non et non. Jean Baptiste Akrou semble faire partie de cette catégorie d’intellectuels africains, qui pour défendre leurs intérêts propres, ignorent expressément ce qui fait le bonheur de leurs peuples.

Dieu nous aide à comprendre ce qui est bon pour nous africains.

Dr Séraphin PRAO
Enseignant-chercheur à la faculté des sciences économiques et de développement à l’Université de Bouaké-la-Neuve (Côte d’Ivoire)
Président du Mouvement de Libération de l’Afrique Noire (MLAN) ; juillet 9, 2010

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