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Côte d’Ivoire – Burkina : ce qu’il faut savoir de l’affaire de l’« enregistrement Soro-Bassolé »

13 novembre 2015 à 17h29 — Mis à jour le 13 novembre 2015 à 18h02

Par Benjamin RogerHaby Niakate et Rémi Carayol

 

Le contenu d'un enregistrement sonore présenté comme celui d'une conversation téléphonique entre Guillaume Soro et Djibrill Bassolé crée des remous entre la Côte d'Ivoire et le Burkina. Au-delà de la polémique, virulente, voici les points clés d'une affaire qui suscite autant de bruit que de questions actuellement sans réponses.

Faut-il parler de « putschtape » ? Près de 24 heures après sa publication sur Internet par des personnalités pro-Gbagbo, l’enregistrement présenté comme une conversation entre Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, et Djibrill Bassolé, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Blaise Compaoré, n’en finit plus de faire le buzz.

Et si les réactions politiques sont, pour le moment, très timides – tout comme la couverture médiatique de l’affaire, sauf du côté de la presse pro-Gbagbo en Côte d’Ivoire -, c’est bien parce que la fameuse bande audio présente de nombreuses zones d’ombre et que les enjeux qu’elle recèle sont pour le moins considérables.

Pour l’avenir des relations ivoiro-burkinabè bien sûr, mais aussi pour le sort judiciaire de Djibrill Bassolé, incarcéré depuis le 29 septembre à Ouagadougou. Et enfin pour la carrière politique d’un acteur majeur de la scène politique ivoirienne, Guillaume Soro, dont les ambitions présidentielles ne sont plus qu’un secret de polichinelle. Jeune Afrique fait le point sur cette affaire explosive qui, manifestement, ne fait que commencer.

Un enregistrement au contenu explosif

Seize minutes et 32 secondes. C’est la durée de cette conversation surréaliste au cours de laquelle les deux protagonistes évoqueraient le plus simplement du monde leur plan pour relancer le coup d’État raté du général Gilbert Diendérécontre le régime de transition. « On frappe dans une ville, en haut quelque part là-bas. On récupère un commissariat, une gendarmerie… eux ils vont fuir, ils ne peuvent pas résister, et comme on me dit que l’armée est autour de Ouagadougou, l’armée va vouloir se réorganiser pour aller vers là-bas…», expliquerait Guillaume Soro, tandis que Djibrill Bassolé acquiescerait par de simple « hein, hein ».

Proposition de financement, rémunération des militaires, stratégie à adopter au cas où ce plan réussisse, mais aussi menaces de morts envers deux personnages majeurs de la transition… « Il y a deux personnes chez vous là, que moi je ne laisserai jamais, Bassolé, dit alors son interlocuteur. En tous cas, quand on va finir tout ça là, ces deux personnes là, tu dois accepter que je règle. Il y a Salif Diallo [ancien conseiller de Blaise Compaoré aujourd’hui bras droit de Roch Marc Christian Kaboré, l’un des favoris à l’élection présidentielle burkinabè, NDLR] et puis un Sy là [Chérif Sy, le président du Parlement de la transition actuelle, NDLR]… Ah non, non, non, ça je ne vais pas laisser, Bassolé, non, non, non…Ces gens peuvent pas vivre et vous allez être tranquille. Quelle que soit ta bonne volonté Bassolé, ceux-là que j’ai cités là, ils ne peuvent pas être vivants et le Burkina va être tranquille. »

Est-ce un véritable enregistrement ou un montage ? Soro et Bassolé ont-ils pu parler d’événements aussi sensibles au téléphone ?

Et de lâcher : « Est-ce que toi tu imagines que nous on aurait pu faire ce qu’on est en train de faire si Tagro [Désiré de son prénom, et secrétaire général à la présidence de l’ex-président Laurent Gbagbo, blessé mortellement lors de l’assaut du bunker de ce dernier par les forces pro-Ouattara en avril 2011, NDLR] et puis IB [Ibrahim Coulibaly, rival historique de Soro au sein de la rébellion des Forces nouvelles, tué à la fin de la crise postélectorale de 2010-2011 par des forces pro-Ouattara] étaient vivants ? C’est-à-dire que tous les jours IB allait chercher à faire un coup d’État (rires)… » Rien que ça.

Voilà pour des propos aussi sidérants qu’accablants, qui s’ils s’avèrent véridiques résolvent en partie deux grands mystères de la vie politique ivoirienne de ces dernières années. Reste les deux questions fondamentales que tout le monde se pose : est-ce un véritable enregistrement ou un montage ? Soro et Bassolé ont-ils pu parler d’événements aussi sensibles au téléphone ?

Un « grossier montage », selon le camp Soro

Pour l’entourage de Soro, les choses sont claires : c’est un montage de trois voix (celles de Bassolé, de Soro et une troisième non authentifiée, qui pourrait être celle d’un imitateur) que des experts vont bientôt dénoncer. Selon eux, il y a bien eu une conversation téléphonique entre Djibrill Bassolé et Guillaume Soro, mais celle-ci ne durerait que 4 minutes. Lors de cet échange, Guillaume Soro aurait effectivement proposé une aide, notamment financière, à Djibrill Bassolé pour se retirer du Burkina, suite au gel de ses avoirs. « De toutes les façons, Djibrill est là, il est vivant et pourra témoigner », dit-on dans l’entourage de l’Ivoirien, tout en ajoutant que ce dernier « a huit ans de rébellion derrière lui » et qu’il sait donc « qu’il y a des sujets que l’on n’aborde pas au téléphone ». La contre-attaque du camps Soro a d’ailleurs déjà commencé sur Internet, avec plusieurs tweets de l’intéressé lui-même et la publication d’une seconde bande audio présentée comme extraite de la véritable conversation.

Pour le moment, dans le camp du président de l’Assemblée nationale ivoirienne, on se dit donc « droit dans nos bottes » et on affiche un « business as usual » pour faire retomber le soufflet.

La réaction de l’avocat de Djibril Bassolé

Une défense sur laquelle s’aligne aussi l’avocat de l’ancien ministre des Affaires étrangères de Blaise Compaoré, Me Alexandre Varaut, qui parle de « manipulation » et de « bidouillage ». « Cela fait 45 jours qu’on nous dit que cette bande existe et qu’on la réclame, et au lieu d’apparaître dans le dossier, elle apparaît sur Internet. Ce n’est pas un hasard », explique-t-il. Avant d’ajouter: « Cette conversation n’a jamais eu lieu. Oui, Bassolé s’est entretenu avec Soro après le coup d’État, comme il s’est entretenu avec de nombreuses personnalités de la région qui l’appelaient pour prendre des nouvelles. Il n’a jamais été question de financer le putsch ou d’établir la tactique. Bassolé n’a jamais tenu de tels propos, et s’il avait entendu Soro dire ces choses-là, il aurait raccroché. » Selon l’avocat, d’ailleurs, « l’épouse de Bassolé ne reconnaît pas sa voix »…. Plusieurs proches du Burkinabé ont cependant admis, après avoir écouté la bande, qu’il s’agissait très probablement de lui.

La thèse d’une véritable interception téléphonique

Pourtant, l’existence de cet enregistrement était connue de nombreux diplomates et journalistes en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. Selon une source proche du Premier ministre Isaac Zida, la bande de 16’32’’ dévoilée hier est identique à celle évoquée il y a quelques semaines et sur laquelle s’est notamment basée la justice burkinabé pour inculper Djibrill Bassolé « d’attentat à la sûreté de l’État », de « haute trahison » et de « collusion avec des forces étrangères ». Cette même source explique d’ailleurs qu’il ne s’agit là que du « principal enregistrement », et qu’il en existe d’autres, dont un entre Djibrill Bassolé et Thérèse Diawara, la belle-fille de Gilbert Diendéré et nièce de l’homme d’affaires Lassiné Diawara, arrêtée elle aussi et inculpée de complicité avec les putschistes. D’autres proches de Zida, très sûrs d’eux, parlent notamment d’« éléments sonores éloquents supplémentaires » qui n’ont pas encore été révélés.

D’où vient l’« enregistrement » ?

Dans le camp Soro, la piste burkinabè est très prise au sérieux. La voix de Bassolé étant très nette sur l’enregistrement, contrairement à celle de Soro dans certains passages, « l’enregistrement originel a sûrement été réalisé à Ouagadougou », se dit-on. Par qui ? Première possibilité : les renseignements burkinabè. Si l’enregistrement a bel et bien eu lieu le 27 septembre – point sur lequel l’ensemble des acteurs semblent s’accorder – et s’il est réel, qui, dans le contexte de l’époque, dirigeait alors le système d’écoute du pays ? Selon plusieurs sources burkinabè, les centres d’écoute du pays étaient encore sous le contrôle du général Diendéré et de ses hommes à ce moment-là. Seconde possibilité : les renseignements d’un État tiers, doté de moyens et d’une technologie assez sophistiquée. Plus probable pour de nombreux commentateurs politiques… mais quasiment impossible à prouver.

Source : jeuneafrique.com

 

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