«Indigènes»

Les Algériens ont ainsi immédiatement fustigé un soutien jugé trop direct au pouvoir en place à Alger, à ces «dirigeants des indigènes que nous sommes», a raillé l’opposition. Même réactions, parfois offusquées, à la suite des propos de Macron sur la situation tendue en Afrique de l’Ouest, où deux présidents se sont récemment imposés au forcing pour un troisième mandat.

Pour résumer, il y aurait le «mauvais» troisième mandat, celui du «vieux» président guinéen Alpha Condé, que Macron aurait pour l’instant refusé «de féliciter», renforçant l’idée d’une bénédiction française incontournable pour les vieux crocodiles qui s’accrochent au pouvoir. Puis d’un autre côté, «le bon» troisième mandat, celui de son homologue ivoirien, Alassane Ouattara (à peine quatre ans plus jeune que son camarade guinéen, au passage), qui «ne voulait pas se représenter», nous rappelle Macron, mais «a considéré qu’il était de son devoir d’y aller» après le décès inattendu de son successeur désigné, Amadou Gon Coulibaly, terrassé par une crise cardiaque début juillet.

Sauf qu’on n’est pas dans une monarchie. Mais, en théorie du moins, dans une démocratie, dont les règles ne peuvent pas être modifiées juste parce que l’un des compétiteurs a perdu son joueur fétiche. A moins que ce «dauphin» était précisément la garantie que «tout change pour que rien ne change» ?

«Pas crédible»

Personne en réalité n’ignore que cette élection présidentielle ivoirienne s’est plutôt mal passée. Son déroulement a été sévèrement critiqué par des observateurs présents comme la Fondation Carter, qui l’ont jugé «pas crédible». Les violences engendrées, qui ont fait officiellement 85 morts, un record depuis dix ans, ont suscité l’inquiétude d’Amnesty International, qui n’hésite pas à mettre en cause les partisans du parti au pouvoir dans les affrontements et les intimidations qui ont eu lieu. Macron sait tout cela. Mais hier comme aujourd’hui, la raison du plus fort s’impose.

Rien n’a changé, si ce n’est que les dirigeants français et occidentaux sont désormais mis devant le fait accompli d’un rapport de force sur lequel ils n’ont que peu de prises et face auquel ils doivent se contenter des promesses de dialogue et de réconciliation qu’aucun camp ne souhaite réellement sur le terrain.

Arrestations

En Côte-d’Ivoire, même si l’arrestation de plusieurs opposants – l’un d’eux, Pascal Affi N’Guessan, étant toujours détenu dans un lieu secret – a terni la réputation d’Alassane Ouattara, c’est lui qui garde le contrôle de la force et du pouvoir. Dans un pays où les intérêts économiques sont énormes, premier producteur de cacao au monde, et véritable locomotive régionale, Macron ne pouvait que s’incliner et endosser le storytelling d’un troisième mandat lié à des circonstances exceptionnelles.

Le lendemain de la publication de cette interview s’est déroulé en Côte-d’Ivoire l’enterrement d’un jeune homme, apparemment décapité par les forces pro-Ouattara lors d’affrontements au centre du pays, début novembre. Le même jour, dans une autre localité, un drapeau français a été brûlé. Ça ne fait pas une révolution. Juste l’expression d’une colère diffuse, annonçant une période d’intranquillité. Comme au Gabon, comme au Cameroun, comme au Congo-Brazzaville, où à chaque fois la raison du plus fort avait fini par triompher. Cautionnée sans toujours l’avoir choisi par la France, dont l’actuel président rêve de promouvoir de «nouvelles générations» africaines aux commandes, tout en se retrouvant l’otage du dilemme énoncé en son temps, avec autant de nostalgie que de cynisme, par le prince de Salina.

Maria Malagardis