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Exclusif : Entretien avec Mamadou Koulibaly, candidat aux présidentielles ivoiriennes

January 24th, 2015 Rédaction Financial Afrik

 

Mamadou Koulibaly qui fut  président de l’assemblée nationale, ministre de l’Economie et des Finances et, entre autres,  Ministre du Budget,  est candidat aux prochaines présidentielles ivoiriennes. Agrégé d’économie de l’université Aix-Marseille III, il a quitté le Front populaire ivoirien (FPI) dont il fut président par intérim  en juillet 2011  Pour  fonder le Lider( Liberté et Démocratie pour la République), un parti politique d’opposition qui s’inscrit dans la mouvance de la démocratie libérale.

Financial Afrik: Pensez-vous qu’une coalition électoraliste Mamadou Koulibaly – Charles Konan Banny  et Amara  Essy a une portée politique aux yeux des Ivoiriens?

Mamadou Koulibaly : Oui, je le pense ! Mais pour que cette coalition soit victorieuse, il faut qu’elle soit crédible et efficace. La portée politique de cette coalition viendra de la crédibilité des femmes et des hommes qui la constituent. Les trois personnes que vous citez sont crédibles, mais elles ne peuvent être efficaces que si elles arrivent à surmonter leur egos et à rassurer les populations qu’elles mettront fin aux crises en Côte d’Ivoire sans prendre les armes de guerre, ni en usant de violence et de méfiance politique, mais par la culture de la confiance. Et pour cela, la coalition doit se donner un programme commun qui la rendrait crédible aux yeux de tous ceux qui estiment que Ouattara voulait être président et qu’il l’a été, mais qu’il s’est montré incapable de gouverner la Côte d’Ivoire, qu’il a simplement géré les finances publiques, car ni l’Etat, ni la démocratie, ni la nation n’ont eu de sa part aucune attention. La portée de cette coalition passe par sa crédibilité, qui ne s’obtient qu’à travers un discours-programme responsable d’hommes et de femmes de conviction. Cette coalition peut et doit rapidement se constituer autour de thèmes porteurs qui rompent avec les discours et pratiques ethnicistes et tribalistes.

Deuxièmement, la portée politique aux yeux de l’opinion se construit aussi sur l’efficacité stratégique, technique et managériale. Cette efficacité exige qu’elle s’élargisse à d’autres groupes qui sont aujourd’hui opposés au Rhdp au pouvoir. Je pense à ceux du défunt Cnrd et à tous les partis, associations et mouvements de la société civile de Côte d’Ivoire d’aujourd’hui qui seraient prêts à s’engager pour une défaite de l’alliance au pouvoir. Notre coalition doit être suffisamment large pour qu’on ne puisse pas résumer son titre ou son appellation à des noms d’individus, comme vous le faites dans votre question. La portée politique de cette coalition viendra aux yeux de tous, Ivoiriens et non Ivoiriens, aussi bien de l’ampleur de sa base politique que de la réputation de son sommet. Et cette base se constituera si économiquement, diplomatiquement, financièrement, nous pouvons rassurer. Les gens ne rejoindront la coalition que si elle est crédible et elle ne peut être crédible que si elle rassure par son projet, sa vision, son programme et l’humilité et la conviction de ses animateurs.
Quels sont vos grands thèmes de campagne, si vous devez y aller seul?

Mamadou Koulibaly : LIDER, qui m’a investi comme candidat, m’a aussi demandé de tout faire pour inscrire notre démarche dans le cadre d’une grande coalition. Le parti cependant travaille depuis toujours sur deux groupes de thèmes de campagne: les thèmes qui préparent une élection démocratique et ceux qui proposent une politique de rupture d’avec la Côte d’Ivoire des conflits, des tensions, de la méfiance et de la misère. Dans le premier groupe, la campagne s’articule autour du refus de la commission électorale actuelle, qui n’est pas indépendante comme l’exige la lettre et l’esprit de la Constitution, inféodée qu’elle est au président de la République – lui-même candidat –, à ses ministres de l’intérieur et des finances, au conseil supérieur de la magistrature qu’il préside, à son président du parlement, à sa coalition Rhdp qui sont, tous autant qu’ils sont, ses principaux directeurs de campagne. Notre campagne consiste à expliquer aux populations que l’indépendance de la commission électorale passe par sa constitution exclusive par la société civile. Les partis politiques ne peuvent être à la fois juges et partie. Ils empoisonneraient l’atmosphère électorale en transposant au sein de la commission les conflits de l’arène politique. En 2000, cela nous a conduits à des contestations des résultats. En 2010, cette même façon de faire a conduit aux mêmes types de contestation des résultats. Pourquoi recommencer en 2015?

Un autre thème de campagne porte sur la fiabilité de la liste électorale que la commission électorale devait confectionner. Depuis 2010, la liste aurait due être mise à jour, car notre commission électorale est permanente et ses membres sont payés tous les mois, mais aucune révision de la liste n’a été faite et six cohortes de jeunes ayant atteint 18 ans, l’âge de voter et d’être éligible, ont été exclues de cette liste pour les élections municipales et régionales et maintenant de la présidentielle de 2015. Nous faisons campagne pour que cette liste de 2010 ne soit pas retenue en l’état pour les élections de 2015. Savez-vous que, selon les statistiques officielles, ce sont environ quatre cent mille (400 000) jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail moderne en Côte d’Ivoire? Sur les six ans de 2010 à 2015, ce sont donc environ deux millions quatre cent mille (2 400 000) nouveaux électeurs au moins qui pourraient s’inscrire sur la liste électorale. En considérant que les jeunes qui arrivent sur le marché du travail ont 25 ans et plus, il reste à compter ceux qui ont entre 18 et 25 ans, qui représentent eux aussi des millions de personnes. Mais prenons même seulement ces 2 400 000 qui, ajoutés aux 5 700 000 de l’actuelle liste électorale, donneraient un total de 8 100 000, qu’il faut corriger des autres exclus, des oubliés, des non recensés, des naturalisés en droit de voter, des personnes décédées etc. Nous pouvons avoir une liste électorale d’au moins 10 à 11 millions de personnes. Retenez au passage qu’en 2000, nous avions une liste électorale de 5 400 000 personnes et que dix ans après, en 2010, notre liste avait environ 5 700 000 inscrits. Pouvez-vous admettre que la Côte d’Ivoire, en 10 ans, n’ait pu avoir que 300 000 électeurs supplémentaires seulement? Est-ce normal que le Ghana voisin ait une liste électorale de 14 millions de personnes et que nous, en Côte d’Ivoire, avec sensiblement la même structure démographique, nous retrouvions avec une liste de 5,7 millions ?

Le troisième volet de notre campagne porte sur l’accès aux médias de service public de la radio et de la télévision, dont tous les partis et animateurs politiques qui ne font pas partie du Rdr et de la coalition gouvernementale ou de ses soutiens, sont totalement exclus depuis l’arrivée de Ouattara au pouvoir. Comment accepter d’aller à des élections quand, dans un pays à faible taux d’alphabétisation, Ouattara est le seul à faire sa propagande à la radio et à la télévision et que l’audiovisuel n’est pas libéralisé ? Les jeux sont biaisés au départ et nous faisons campagne pour que l’opinion comprenne que Ouattara est un tricheur patenté.

 

Se pose aussi la question de la sécurité des populations, des votants et des candidats avant, pendant et après les élections. Cette question est d’autant plus importante que les Frci ne sont rien d’autre qu’une milice officielle à la disposition de Ouattara mais payée par l’Etat. Il en est de même pour un grand nombre d’ex combattants non immatriculés dans les forces régulières, mais qui ont conservé leurs armes qui leur permettent souvent d’être des coupeurs de route et parfois de devenir des microbes virulents et impunis.

 

Nous disons pendant notre pré-campagne que si ces quatre questions étaient convenablement traitées, alors nous pouvons présenter largement notre programme de gouvernement sur les grands thèmes comme la réforme foncière, source des conflits graves car l’Etat ivoirien, depuis les indépendances,  s’est proclamé propriétaire des terres de Côte d’Ivoire, usurpant ainsi les droits des propriétaires coutumiers. Pour nous, la terre – le sol et le sous-sol – n’appartient pas à l’Etat, mais aux propriétaires coutumiers, ancestraux, auxquels il faut distribuer les titres fonciers après que le cadastrage de tout le territoire ait été effectué. Ce sont ces titres de propriétés foncières qui vont stimuler le crédit à la production agricole et améliorer les rendements et la production tout en donnant au système financier de nouvelles possibilités d’investissement risqués et rentables. Cette réforme foncière réussira facilement, si le système bancaire et financier se libérait des carcans de la zone Cfa avec son taux de change fixe et ses taux d’intérêt réglementés. D’où notre campagne pour une réforme en profondeur de la monnaie et du crédit.

 

Nous faisons aussi campagne pour la fin du régime présidentiel et l’instauration du régime parlementaire en Côte d’Ivoire, pour un meilleur contrôle des personnels politiques qui seraient alors contraints de rendre compte aux populations de leur gestion des affaires et des fonds publics. Nous estimons que le système de retraite par répartition actuellement en vigueur est inefficace, aussi bien pour la qualité de ses prestations et le poids de ses déficits que pour son incapacité à mobiliser l’épargne domestique. Nous faisons campagne pour un système de retraite par capitalisation qui créerait de nouvelles opportunités pour de nouveaux produits financiers qui dynamiseraient les marchés. Contre le chômage, nous plaidons pour une réforme fiscale de fond, qui réduirait les taux de fiscalité et augmenterait le nombre de contribuables en simplifiant l’impôt, en réduisant la Tva pour stimuler la consommation et lutter contre la pauvreté. Le but pour nous est de faire en sorte que les entreprises se multiplient pour créer des emplois. En matière sociale, l’anglais serait comme le français enseigné depuis les premières classes du primaire, tout comme l’informatique, l’économie domestique et l’apprentissage ; l’école serait obligatoire mais non gratuite et aucun dirigeant de l’Etat ou gestionnaire des fonds publics n’aura le droit de se faire évacuer ou d’aller se faire soigner à l’étranger. Si nous sommes certains d’offrir un système de santé correct aux populations, nous n’avons aucune raison d’aller nous faire soigner en Europe aux frais du contribuable.
Le président Ouattara présente un bon bilan économique si l’on se fie à la courbe de croissance du Pib depuis 2012. Quelle analyse faites-vous de cette performance ?

Mamadou Koulibaly : Vous savez, la croissance est à la mode depuis 2010, sauf dans les économies d’Europe occidentale membres de la zone euro. En Afrique, la croissance du produit intérieur brut (Pib) est perceptible partout et le taux de croissance du Pib d’un pays qui a célébré son accession au très populaire club africain des Ppte (pays pauvres très endettés) n’impressionne pas. Sur la même période que vous signalez, la croissance était de plus de 20,10% en Sierra Leone en 2013, de 8,48% en République démocratique du Congo, de 11,31% au Libéria, de 24,40% au Sud Soudan, de 7,13% au Ghana, de 6,53% au Burkina Faso. On peut continuer à donner des exemples de taux de croissance extraordinaires. Mais tous ces pays africains en croissance vivent de l’aide publique au développement qu’ils demandent et obtiennent auprès des Etats-Unis d’Amérique qui n’ont fait que 1,88% en 2013, de la France qui faisait à peine 0,21%, de la Corée du sud qui faisait 2, 97%, du Canada avec 2,02% ou de la Chine avec 7,67%, tous sur la même année 2013. Doit-on en conclure que Ouattara a un meilleur bilan économique que Obama ou Hollande ou autres? Non.

 

La performance d’une économie ne se mesure pas par le Pib ou le Pib par tête, surtout dans des économies où l’appareil statistique est défaillant et où les administrations fabriquent elles-mêmes des chiffres. Ouattara fait de la croissance de rattrapage dans un pays qu’il aidé à plongé dans la crise depuis de longues années, avec les programmes d’ajustement structurel (PAS) qu’il imposait depuis le FMI ou la Banque centrale, jusqu’à ses contributions dans la guerre de succession qui a suivi la mort du premier président de ce pays. La Côte d’Ivoire se retrouve en termes de Pib par tête au niveau où le pays était dans les années 1977-78. Ce qui compte c’est le capital par tête, ou bien la formation brute du capital fixe par tête. En outre, ce n’est pas sur le terrain banal de la croissance du Pib qu’il était attendu, mais sur la réconciliation nationale, la corruption et la justice. Et là, il a été exécrable, sacralisant l’impunité, célébrant une gestion clanique de l’Etat et maintenant ses milices armées en Frci pour quadriller le territoire et tenir les populations dans la peur et la soumission. L’Etat de droit est en net recul. Les entreprises pressurées et intimidées n’investissent pas et la formation brute du capital fixe reste faible. Le résultat est qu’il y a un accroissement du chômage et de l’insécurité. La croissance économique de Ouattara est une croissance appauvrissante. L’Etat effectue de gros travaux d’infrastructures, mais qui ne sont pas de nature à stimuler l’investissement privé. Les dépenses de l’Etat gonflent son budget, qui à son tour gonfle le Pib, mais elles sont financées par l’endettement public après que la pression fiscale et le racket aient atteint des sommets. L’Etat racle les fonds de l’épargne privée sur le marché financier national et évince les Pme et Pmi locales du crédit bancaire. Ces fonds locaux insuffisants amènent Ouattara sur le marché des eurobonds, où il va s’endetter à taux de 6 à 8%, là où le marché est à 1 ou 2%. Tout cela fait que malgré l’annulation d’un grande partie de la dette de la Côte d’Ivoire, le pays retrouve son niveau d’endettement d’avant Ppte. Voilà pour son bilan et ce n’est qu’un bref resumé.

Propos recueillis par Adama Wade

 

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