Faut-il continuer d’organiser des élections présidentielles en Afrique ?

Faut-il continuer d’organiser des élections présidentielles en Afrique ? Cette question peut être jugée provocatrice par les idéologues de la démocratie en Afrique. Cependant, elle fait suite à une observation des élections sur le continent africain ces vingt-cinq dernières années, particulièrement la dernière élection présidentielle au Gabon. Lorsque Jacques Chirac jugeait, au début des années 1990, que « la démocratie est un luxe pour l’Afrique », beaucoup d’Africains, y compris les intellectuels et politiques s’en étaient offusqués. Vingt-cinq ans après, la réalité du terrain ne lui donne-t-elle pas raison ?

 

Alfred Babo est d’origine ivoirienne. Il est sociologue et professeur d’études internationales à l’université américaine de Fairfield (Connecticut).

La démocratie électorale en Afrique a échoué parce que les élections, notamment présidentielles, donnent d’observer trois constantes qui militent, à mon sens, pour leur abandon.

La démocratie, un luxe ?

Premièrement, l’élection présidentielle est improductive car non seulement elle est très onéreuse pour les pays africains, mais elle produit très peu de résultats positifs dans la vie des populations. La présidentielle ivoirienne de 2010 a été reconnue par l’ensemble des observateurs comme l’une des plus coûteuses au monde. Le coût de l’organisation du scrutin a été estimé à 300 millions d’euros, ce qui en faisait l’élection la plus chère d’Afrique.

Un partisan de l’opposant Jean Ping, à genoux face aux forces de sécurité qui bloquent l’accès à la Commission électorale, le 31 août 2016.

La démocratie en Afrique, dans des pays pauvres et très endettés, est devenue un véritable luxe. Ces pays font très souvent appel à des financements extérieurs auprès de l’Union européenne et d’autres bailleurs pour organiser les présidentielles. Mais tout cela pour quels résultats ? Dans de nombreux pays, l’élection met aux prises des factions, généralement à base ethnique et depuis longtemps embourbées dans des luttes de pouvoir fratricides.

De fait, le niveau de violence électorale (avant, pendant et après) est devenu la jauge du bon déroulement et de la crédibilité d’une élection. La dernière présidentielle du 27 août au Gabon s’est terminée par des violences exactement comme en 2009. Les violences électorales les plus graves sont celles qui se sont déroulées au Kenya en 2008, puis en Côte d’Ivoire en 2010 et, plus récemment, au Burundi en 2015. Le scrutin présidentiel à venir en République démocratique du Congo (RDC) a déjà généré des violences avant même que l’on ne se rapproche de son organisation.

En outre, même dans les pays considérés comme les plus avancés dans la consolidation de la démocratie comme le Ghana, le Mali, le Sénégal, et le Bénin, la présidentielle a polarisé les tensions et l’on a parfois frôlé la tragédie. Entendons-nous bien, l’absence de brutalité visible ne signifie pas qu’il n’y a pas de violation, même symbolique, des droits de l’homme par la restriction des libertés politiques, notamment l’emprisonnement, les tortures et les menaces des opposants, ainsi que des acteurs de la société civile (syndicats, unions, journalistes, etc.) avant ou après une élection. Ces violences en général débouchent sur la conservation du pouvoir par le président sortant ou le régime en place.

Deuxièmement, les élections présidentielles en Afrique ne débouchent que très rarement sur une alternance. En dehors de quelques pays comme le Ghana, le Mali, le Sénégal, le Bénin et le Malawi, l’alternance politique s’est faite soit par le biais des putschs ou soulèvements populaires lors du « printemps arabe », soit elle ne s’est pas réalisée. Le même président, le même clan ou système, trentenaire, voire cinquantenaire, demeure au pouvoir. Il en est ainsi du Togo et du Gabon, puis, dans une certaine mesure, de toute la sous-région de l’Afrique centrale notamment l’Angola, le Congo, le Tchad, la Guinée équatoriale, le Cameroun et, plus loin, le Zimbabwe et l’Ouganda.

Inculture démocratique des classes politiques africaines

La tendance, la grande, reste la foire aux modifications des Constitutions pour que des présidents qui avaient accepté aux forceps le multipartisme, demeurent au pouvoir vingt-cinq ans après l’instauration de la démocratie.

Aujourd’hui, ils sont nombreux à se lancer dans l’aventure de la modification constitutionnelle en vue de conserver le pouvoir, à l’instar du Burundi, du Congo et du Rwanda. Ce sont des présidents qui organisent l’élection, et la gagnent inéluctablement. Dans un passé récent, Abdoulaye Wade avait essayé ce passage en force. En Côte d’Ivoire, la tentation reste grande avec le projet de nouvelle Constitution prévue par le régime en place.

Au Bénin, ce n’est pas faute d’y avoir pensé. Au Burkina Faso, la tentative de Blaise Compaoré a connu une fin fatidique. En RDC, les manœuvres sont en cours pour trouver les ressorts juridiques d’une éventuelle prolongation du mandat de Joseph Kabila. Ces manœuvres qui très souvent provoquent des violences, débouchent inexorablement sur la contestation des résultats.

Ce qui nous amène justement au troisième point : la contestation des résultats est devenue quasi consubstantielle à l’exercice de ces scrutins et dénote l’inculture démocratique des classes politiques africaines. L’opposition dénonce toujours des fraudes et demande l’annulation de l’élection. Depuis le 30 août, date de proclamation des résultats de la présidentielle gabonaise, le candidat de l’opposition, Jean Ping, n’a cessé de crier à la fraude tout en s’autoproclamant lui-même vainqueur du scrutin et président de la République en dehors de tout cadre juridique.

En 2015, en Guinée, l’opposant Cellou Dalein Diallo réclamait la reprise de l’élection avant même la fermeture des bureaux de vote. Lors de la présidentielle ivoirienne de 2015, les candidats de l’opposition tels Mamadou Koulibaly et Essy Amara ont suspendu leur participation avant même l’ouverture des bureaux de vote, dénonçant de graves irrégularités et la mainmise du président sortant, Alassane Ouattara, sur le processus. En face, le pouvoir, qui contrôle les organes électoraux pompeusement qualifiés d’« indépendants » bat toujours en brèche les contestations et recours des opposants et proclame vainqueur le président en place.

Penser autre chose que l’élection

Sur le continent, les élections présidentielles donnent à voir cette même complainte de fraude, de tricherie et de manque de transparence et d’équité. Pourquoi organiser une élection dont le processus est de toute façon remis en cause et ne débouche que rarement sur l’alternance, mais plutôt sur des violences, et des morts ?

Mon argument est qu’il ne faut pas organiser d’élection présidentielle dans certains pays africains. Ne pas le faire, c’est épargner des vies humaines, c’est épargner de l’argent, c’est s’émanciper d’acteurs politiques en manque d’inspiration. Le gain humain, économique, moral et politique de la non-organisation de présidentielles l’emporte sur le maintien d’un simulacre qui ne vise qu’à satisfaire la communauté internationale. Le modèle démocratique occidental, contrairement à la pensée distillée, n’est pas universel. Chaque société devrait s’inventer son propre modèle de gouvernance qui assure sa pérennité dans la paix et le progrès.

A ce titre, l’élection présidentielle pourrait être maintenue uniquement dans les pays où l’expérience semble fructueuse. Mais, dans les autres, il faut penser à autre chose, avant que l’Occident ne trouve – encore – une autre « solution » à imposer aux Africains, faute d’avoir trouvé par eux-mêmes. Le régime parlementaire, entre autres, peut peut-être contribuer à réduire tensions et violences à l’échelon régional ou local plutôt que national. Aussi, un candidat à la présidentielle ivoirienne de 2015 avait proposé la brillante idée d’un système tout à fait inédit fondé sur une présidence tournante entre les régions ou blocs ethniques.

L’épicentre de l’élection serait alors dans la région chargée de désigner, parmi ses élus, celui qui accédera à la présidence. L’on pourrait exiger de tout candidat visant un siège régional, puis la présidence, d’obtenir un quota de signatures dans les autres régions. Ce qui l’amènerait à organiser une campagne nationale. Le président élu se prévaudrait ainsi d’une double légitimité, régionale et nationale. Ce système parlementaire tournant aurait l’avantage de régler la question ethnique récurrente, de pacifier les élections et garantir l’alternance.

Alfred Babo

Alfred Babo est d’origine ivoirienne. Il est sociologue et professeur d’études internationales à l’université américaine de Fairfield (Connecticut).

 

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