Afro-optimisme 2.0

Autopsie de l’afro-optimisme 2.0

Publié le 18 août 2015 à 10h36

Par Yann Gwet

Yann Gwet est un entrepreneur et essayiste camerounais. Diplômé de Sciences Po Paris, il vit et travaille au Cameroun.

La réalité sait se rappeler au souvenir de ceux qui l'ignorent. Nestlé a annoncé il y a peu la suppression de 15 % de ses effectifs dans 21 pays d'Afrique. 

Cette décision s’explique par l’optimisme excessif de la compagnie, qui pensait que « l’Afrique serait la prochaine Asie », avant de réaliser que « la classe moyenne dans la région est extrêmement faible et progresse peu ».

L’annonce de Nestlé remet à l’ordre du jour le débat sur la taille de la classe moyenne africaine et, en filigrane, interroge la pertinence de l’afro-optimisme ambiant. Les articles se multiplient et les experts se déchirent. Les uns dégainent leurs statistiques et expliquent que la classe moyenne est réelle. Les autres leur répondent avec d’autres statistiques qui contredisent les premières.

Le recours aux chiffres est pratique car il donne une apparence d’objectivité à un débat essentiellement idéologique. Avant la crise financière de 2007, le consensus était que les pays africains avaient des difficultés, mais aussi un potentiel important. Ce potentiel entretenait un optimisme légitime mais prudent. C’était l’afro-optimisme 1.0.

L’afro-optimisme 1.0 est mort, vive l’optimisme 2.0 !

La crise de 2007 a mis à mal ce consensus. Les économies occidentales et asiatiques étaient en panne, les investisseurs internationaux en quête de « relais de croissance ». Tout d’un coup les pays du continent devenaient attractifs. La réécriture du script s’imposait. C’était l’avènement de l’afro-optimisme 2.0.

L’afro-optimisme 1.0 était un état d’esprit. L’afro-optimisme 2.0 est une doctrine. Celle-ci énonce que la réalité peut être créée. L’afro-optimiste 1.0 voyait le verre à moitié plein. L’afro-optimiste 2.0 décide que le verre est plein.

Avec le temps, cet état d’esprit est devenu un produit commercial. »

Avec le temps, l’afro-optimisme 2.0 est devenu un produit commercial. Ses fournisseurs ? Des institutions internationales, des médias influents, des groupes d’intérêts divers. Ses clients ? Les couches éduquées d’une diaspora désireuse de voir le continent émerger, des multinationales assoiffées de croissance et des dirigeants africains heureux de se prévaloir de progrès parfois fictifs.

Une doctrine qui recouvre une dimension sociologique

Sur le continent, le concept a une dimension sociologique. La jeunesse privilégiée est souvent afro-optimiste, tandis que la jeunesse désœuvrée est plutôt « afro-indifférente ». Peu de pays ont bâti des systèmes méritocratiques. La jeunesse privilégiée a parfois bénéficié de la corruption de systèmes dysfonctionnels. En ce sens, son afro-optimisme témoigne d’une forme d’aveuglement.

Mes camarades africains et moi étions afro-optimistes (tendance 2.0) à l’époque de nos études. Nous étions afro-optimistes comme les jeunes de notre âge étaient communistes dans les années 1950. C’était là qu’il fallait se situer. Le doute nous était inconnu. La vulgate afro-optimiste dominait. Les rapports que nous consultions, les journaux que nous lisions, les intellectuels que nous respections, les émissions que nous suivions étaient unanimes : l’heure de l’Afrique est arrivée.

Le contact avec la réalité avait un effet limité sur nous. Au cours de mes séjours africains, j’ignorais ce qui me déplaisait et m’attardais sur ce qui m’arrangeait. Je tirais des conclusions hâtives. Telle marque internationale ouvrait-elle une petite boutique en plein cœur de la ville que j’y voyais la confirmation de l’existence de cette fameuse classe moyenne. Peu importait que les files d’attente à la caisse fussent inconnues.

L’afro-optimisme 2.0 est le signe d’un triomphe d’une culture de la facilité. C’est peut-être le plus grave. »

Limites de l’afro-optimisme 2.0

Dans sa version 1.0, l’afro-optimisme tenait sur ses deux jambes : la lucidité d’un côté, l’espoir (justifié) de l’autre. Il reconnaissait que les solutions à des problèmes profonds étaient nécessairement difficiles : bâtir des institutions, forger des identités nationales, créer des sociétés civiles actives.

L’afro-optimisme 2.0 est unijambiste : il repose sur des statistiques intéressées. À des défis complexes, il propose des recettes simples. À des institutions locales fortes, il préfère des organisations supranationales. À la construction de cultures nationales, il oppose le pluralisme des identités. À la nécessaire implication citoyenne dans les affaires publiques, il substitue le militantisme numérique. L’afro-optimisme 2.0 est le signe du triomphe d’une culture de la facilité. C’est peut-être le plus grave.

Yann Gwet

 

L’afro-optimisme 2.0 triomphant

Le Bénin a le vaudou, le Kenya l’athlétisme et le Gabon l’afro-optimisme 2.0. Au New-York Forum Africa (NYFA), dont la 4e édition vient de s’achever à Libreville, il était triomphant.

L’afro-optimiste 2.0 ne connait pas de pays africains. Il connait des marchés africains. Le citoyen africain l’intéresse moins que le « consommateur africain ». Saisir les « opportunités sectorielles » l’enthousiasme davantage que d’améliorer la gouvernance des pays. Il croit à une émergence économique sans transformations politiques.

L’afro-optimiste 2.0 préfère redorer l’image de l’Afrique plutôt que d’améliorer sa réalité

Le vocabulaire de l’afro-optimiste 2.0 est réduit. C’est normal, car sa pensée est simple : le temps de l’Afrique est arrivé. Les mots qu’il emploie sont dépouillés de sens. Là aussi, cela s’explique : chez lui les mots ne sont pas au service d’une idée, mais d’une cause. Ce qui importe, c’est l’image à laquelle renvoient les mots. On ne sera pas surpris que l’afro-optimiste 2.0 affectionne les termes « innovants » et « créatifs », dont le sens est vague mais qui évoquent des images positives. L’afro-optimiste 2.0 préfère redorer l’image de l’Afrique plutôt que d’améliorer sa réalité.

L’afro-optimiste 2.0, qui n’est pas à un paradoxe près, adore ce qu’il est convenu d’appeler « l’entrepreneuriat social ». D’un côté, il indique que l’Afrique est un « réservoir de croissance pour les années à venir », et de l’autre, il promeut massivement des entreprises qui ne sont manifestement pas intéressées par ces opportunités prétendument irrésistibles. L’entrepreneuriat social a sa place. Il est une réponse aux imperfections du marché. Mais outre le fait que créer un emploi est l’acte social ultime, l’enjeu pour les pays africains est, d’après l’entrepreneur nigérian Tony Elumelu, la création de 10 millions d’emplois par an pour répondre aux besoins de la jeune population du continent. L’entrepreneuriat social contribuera-t-il à relever ce défi ?

L’afro-optimiste 2.0 exalte l’entrepreneuriat (en Afrique). « Il n’y a aucun endroit plus intéressant que l’Afrique pour être entrepreneur aujourd’hui » proclamait quelqu’un au cours d’un des débats du forum. « Peu importe l’âge que vous avez, peu importe vos origines, que vous soyez de la classe leader ou pas, on s’en fout ! C’est ça l’avantage de l’entrepreneuriat. C’est que c’est vraiment les meilleurs qui gagnent », renchérissait une autre. La première assertion est contredite par le classement Doing Business 2015, où la majorité des pays du continent sont classés entre le 120e et le 189e rang sur 189 pays évalués – le Gabon est 144e sur  189. La deuxième affirmation sonne comme une mauvaise blague à ceux qui, sans soutien ni réseau d’aucune sorte, entreprennent sur le continent.

Ils actent l’échec des gouvernants à améliorer le climat des affaires dans leurs pays respectifs

Au-delà, la logique qui préside à cette exaltation de l’entrepreneuriat est accablante. Les afro-optimistes 2.0 plaident pour le statu quo. Ils actent l’échec des gouvernants à améliorer le climat des affaires dans leurs pays respectifs (et donc à favoriser un boom de l’emploi). Plutôt que de rappeler nos dirigeants à leurs devoirs, ils préfèrent encourager la jeunesse paupérisée à s’auto-employer. Or dans des systèmes aussi dysfonctionnels que le sont la majorité des pays sur le continent, l’entrepreneuriat est souvent un sport de privilégiés.

 Oui, l’afro-optimisme 2.0 sauvera l’Afrique !

 

Par Adébissi Djogan

Adébissi Djogan est président d'Initiative for Africa.

 

Lors d'une rencontre en juin dernier au siège de SOS racisme à Paris autour de la question des migrants, un vieux sage, responsable d'une ancienne association de la diaspora africaine dans le quartier de la Goutte-d’Or ( XVIIIe arrondissement de Paris) fit part de son étonnement : au moment ou les Chinois, Américains, Français et autres se bagarrent dans leur ruée vers l’Afrique, des Africains veulent, eux, partir de leur continent.

Il a fallu que je lise l’excellente tribune parue le 18 août dernier dans Jeune Afrique et signée de mon aîné Yann Gwet pour comprendre que les mots de cet octogénaire, né à l’ère de l’afro-optimisme 1.0, sans doute acteur et témoin de tous les combats pour le développement de notre continent, n’étaient ni plus ni moins qu’un plaidoyer vibrant en faveur de l’afro-optimisme 2.0.

Le rythme du tam-tam est en train de changer, la 1.0 est « out-dated », ceci grâce à l’action généreuse d’une nouvelle génération d’Africains absolument résolus à tout gagner ou tout perdre avec l’Afrique, pour l’Afrique.

Relever les défis

Non que 34 de nos pays sur 54 ne figurent plus parmi les pays les moins avancés, qu’un Africain sur cinq ne soit plus touché par un conflit violent, que l’Afrique ait fini de ne peser qu’à peine 2 % du commerce mondial ou que plus que 60 % de la population active jeune, au chômage, ait retrouvé un emploi durable. Mais bien parce que, dans notre histoire collective, les conditions pour relever durablement ces nombreux défis n’ont jamais été aussi favorables.

Cette génération à l’avant-garde de l’Afrique en marche, c’est la génération glorieusement irrévérencieuse qu’incarne Mohammed Bouazizi, martyr d’une jeunesse africaine qui va crier à tue-tête de la place Bourguiba à la place Tahir en passant par la place de la Révolution à Ouagadougou, sans oublier les rues de Bujumbura, sa révolte contre un ordre politique rétrograde, dynastique et prédateur, jusqu’à faire tomber de vieux autocrates qui se sont crus éternellement indéboulonnables ; c’est aussi la génération Aliko Dangote qui, grâce à son formidable succès, nous enseigne que la clé majeure pour réussir en Afrique à notre époque, c’est de se demander non plus ce que l’Afrique peut entreprendre pour nous, mais plutôt ce que nous pouvons entreprendre pour notre continent.

C’est également la génération Pierre de Gaétan Njikam Mouliom, Angèle Kwemo, Dieuveil Malonga, Tony Elumelu, Férouz Allali, Lionel Zinsou, Loïc Dablé, Diane Audrey N’Gacko – et j’en oublie -, des fils et filles d’Afrique qui prouvent à travers leurs initiatives, leurs responsabilités, leurs créations ou leurs activismes que l’avenir de l’Afrique passe par l’implication résolue de sa diaspora.

C’est, de même, la génération de tous ces jeunes créateurs de start-ups et hubs de Dakar à Addis-Abeba, d’Accra à Nairobi, de Joburg à Cotonou, d’Abidjan à Alger, des Vérone Mankou, Mubarak Muyika, Clarisse Iribagize, Iyinoluwa Aboyeji, et Sénamè Kofi en puissance ; c’est la génération Thione Niang, Samba Bathily, Akon, qui à travers le projet Akon Lighting Africa, apportent de l’électricité dans les nombreux hameaux et villages non électrifiés du continent.

Oser inventer l’avenir de l’Afrique

L’afro-optimisme 2.0 n’est pas « wishful thinking ». Elle est au contraire la nouvelle conscience, la foi, l’énergie en action d’une nouvelle génération d’Africains reconnus ou pas, célèbres ou anonymes, qui partagent des quatre coins de notre village planétaire, la puissante volonté de braver tous les obstacles, de prendre tous les risques pour « oser inventer l’avenir de l’Afrique ». Là est sans doute la grande différence avec l’afro-optimisme 1.0, cet optimisme distant, relatif, tiède, sans enthousiasme, qui sous couvert de réalisme ou de lucidité, n’a jamais porté dans son ADN, une volonté soutenue et intrépide de tout risquer pour l’Afrique. Cet afro-optimisme 1.0 est dans ce sens un afro-pessimisme, et nous exagérons à peine.

L’afro-optimisme 2.0 n’est définitivement pas le résultat d’une propagande bretton-woodienne ; c’est même tout l’inverse.

Alors oui, ce nouvel afro-optimisme sert de fond de commerce à des marchands de rêves et à de faux philanthropes ; elle est l’enjeu de stériles et improductifs débats doctrinaux et idéologiques ; elle serait peut-être même unijambiste. Mais Jésus ne disait-il pas qu’il valait mieux entrer au paradis amputé d’un pied plutôt que d’aller en enfer en tenant debout sur ses deux pieds ? L’afro-optimisme 2.0 est peut-être le chemin de ce paradis tant désiré, une Afrique à la hauteur de ce qu’elle est en réalité : le centre du monde.

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