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Présidentielle : la bataille de l'Ouest n'est pas gagnée pour Laurent Gbagbo

L’opposition a grignoté du terrain, mais dans les régions cacaoyères personne ne doute de la victoire du champion local, Laurent Gbagbo. Ici plus qu’à Abidjan, il faudra compter avec le vote communautaire pour l'élection présidentielle du 31 octobre. Reportage.

Difficile de dénicher un détracteur du président Gbagbo dans le village qui l’a vu naître. À Mama, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, on voue une admiration sans bornes à celui que l’on présente ici comme « le père de la démocratie ivoirienne ». « Enfant, il était déjà intelligent, assure Norbert Ouraga, chef d’une des trois grandes familles du village. Au petit séminaire Saint-Dominique-Savio de Gagnoa, ses enseignants ont rapidement vu qu’ilsortait du lot. » Intarissable, Norbert Ouraga enchaîne sur les talents de rassembleur du jeune Laurent Koudou, qui partageait volontiers son ballon de foot avec ses camarades, sur le combat de l’homme qui s’est érigé contre le régime de Houphouët et sur le dévouement avec lequel il sert tous les Ivoiriens.

Les habitants de Mama ne doutent pas un instant de la réélection de leur champion, à l’issue de la présidentielle du 31 octobre. Dans l’Ouest, le chef de l’État jouit d’un large soutien auprès des Krous, des Wés, des Didas, des Gouros et, bien sûr, auprès des Bétés, son ethnie. Mais la région compte aussi de très nombreux Dioulas et Baoulés venus travailler la terre et plutôt favorables à l’opposition. Ici plus qu’à Abidjan, où un bon nombre d’électeurs devraient s’affranchir des clivages communautaires, le vote ethnique sera important.

En 2001, le Front populaire ivoirien (FPI) a remporté de nombreuses mairies dans l’Ouest, mais le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Dramane Ouattara a également fait une percée en raflant les municipalités de Daloa, Soubré, Gagnoa et San Pedro. « La bataille de l’Ouest va être très chaude », pronostique le correspondant d’une grande agence de presse, avant de rappeler que, depuis l’avènement du multipartisme, en 1990, les scrutins ont souvent été émaillés d’incidents et que, ces derniers mois, les accrochages ont été réguliers.

À Divo, tout le monde se souvient des affrontements qui ont opposé partisans du FPI et du RDR lors des audiences foraines (au cours desquelles ont été délivrés des jugements supplétifs d’actes de naissance) et après la dissolution du gouvernement et de la Commission électorale indépendante, en février 2010. L’opposition a violemment manifesté dans cette ville, où le camp présidentiel a fait de très nombreuses demandes de radiations de la liste électorale. « Il existe des cas de fraudes avérés, poursuit le journaliste. Des étrangers en ont bel et bien profité pour avoir des papiers. Mais, paradoxalement, ceux qui les dénoncent aujourd’hui sont parfois ceux qui, moyennant argent, leur ont donné les extraits de naissance nécessaires à leur inscription sur la liste électorale. » Un constat qui vaut pour bien d’autres villes de l’Ouest où, pour ne rien arranger, des Ivoiriens venus d’autres régions (ce sont eux que l’on nomme ici les allochtones) ont déjà reçu des menaces d’expropriation en cas de défaite de Laurent Gbagbo. Résultat : la communauté internationale est inquiète, et l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) a prévu de renforcer son dispositif dans la région le jour du scrutin.

Nouveaux venus

Autochtones, allochtones, allogènes… La cohabitation n’est pas toujours facile. En Côte d’Ivoire, la question foncière a toujours été intimement liée à la politique. En 1960, Félix Houphouët-Boigny, président d’une Côte d’Ivoire tout juste indépendantagre, ouvre largement les portes aux immigrés de la sous-région. À l’époque, le « Vieux » affirme que la « terre appartient à celui qui la met en valeur », officialisant, de fait, l’installation des nouveaux venus dans ce qui est aujourd’hui la principale région productrice de cacao (60 % de la production nationale). Il favorise même leur inscription sur les listes électorales pour étendre son pouvoir et l’emprise du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, ex-parti unique) sur tout le territoire. En retour, le soutien des populations ouest-africaines – particulièrement de la communauté burkinabè – n’a jamais failli. Au début des années 1990, Laurent Gbagbo se bat pour la reconnaissance du droit des autochtones sur la terre et milite en faveur de la suppression du droit de vote des étrangers, accusés de servir le parti au pouvoir. L’Assemblée nationale lui donne raison en adoptant, en décembre 1994, un nouveau code électoral qui impose aux candidats à la magistrature suprême de prouver leur ascendance et leur nationalité ivoirienne. Certaines mesures de ce texte visent à exclure Alassane Ouattara, candidat putatif du RDR, de la course à la présidentielle en 1995.

Dans les campagnes, les conflits fonciers se multiplient sur fond de diminution des surfaces cultivables, d’essor démographique et de manipulation politique. Des Krous et des Burkinabè s’affrontent à Tabou, en novembre 1999, et des milliers d’étrangers doivent prendre la fuite. Des incidents éclatent à Issia, Tingela et Tiébissou.

La plupart des hommes politiques jouent aujourd’hui l’apaisement. Les règles du jeu sont aussi plus claires depuis que, en 1998, les députés ont voté une loi rendant aux autochtones la terre dont ils étaient les détenteurs coutumiers, tout en reconnaissant des droits d’usage aux migrants ivoiriens et aux étrangers. Pour autant, les problèmes n’ont pas disparu : « Cette loi a surtout conforté les propriétaires qui augmentent régulièrement les redevances, se plaint Serge, planteur baoulé de la région de Gagnoa. La location annuelle d’un hectare est passée à 50 000 F CFA [76 euros, NDLR], contre 30 000 auparavant. Et tant que je n’aurai pas payé, je ne pourrai pas aller sur ma plantation. Ils menacent même de nous exproprier et de donner les parcelles, que nous cultivons depuis trente ans, à de nouveaux migrants burkinabè. »

Forêts classées

Car, depuis la signature de l’accord de paix de Ouagadougou en mars 2007, les immigrés reviennent en nombre dans l’Ouest. « Les Burkinabè viennent exploiter nos terres dans la plus grande illégalité, affirme Solange Kouamé N’Guessan, directrice générale de l’Union des coopératives agricoles de San Pedro. Ils sont très organisés, de la production à la commercialisation. Une partie de leur récolte part même dans les pays limitrophes. » Certains s’installeraient aussi dans des forêts classées, malgré les efforts des agents de la Société de développement des forêts (Sodefor).

Conscient du problème – et de ses implications électorales –, le chef de l’État s’est rendu à Paccolo, près de Gagnoa, le 19 septembre. Il a exhorté ses concitoyens à ne plus vendre les forêts et à valoriser leurs terres. Et c’est bien là le nœud du problème : les autochtones, si prompts à dénoncer la présence des étrangers, délaissent volontiers les champs pour un emploi en ville. D’où le recours, nécessaire, à une main-d’œuvre immigrée. « 90 % de mes ouvriers sont burkinabè, reconnaît Marcel-Paul Ackah, planteur et directeur de campagne du chef de l’État dans la ville de Bakanda. Ils sont très travailleurs et connaissent bien l’agriculture. »

Nul doute que le foncier constituera une épine dans le pied du prochain président. Il devra accélérer la réforme agraire et faire inscrire au cadastre des droits sur la terre qui, jusqu’à présent, étaient scellés par des accords coutumiers. Ces démarches administratives ne sont pas toujours bien comprises. Elles ont aussi un coût financier (10 000 F CFA par hectare), que beaucoup ne sont pas prêts à supporter.

27/10/2010 à 08h:46 Par Pascal Airault, envoyé spécial, Jeune Afrique
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