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Présidentielle ivoirienne: vite, un programme pour Gbagbo !

Jean-Pierre BEJOT – La Dépêche Diplomatique |

Présidentielle ivoirienne: vite, un programme pour Gbagbo !

Confronté à un second tour et à un adversaire inattendus, Laurent Gbagbo prend conscience que, n’ayant pas de bilan, il lui faut un programme… d’urgence !

C’est extraordinaire cette capacité que possède Laurent Gbagbo a changer de peau en fonction de ses interlocuteurs et de la conjoncture politique à laquelle il est confronté. Mathieu Kérékou, ancien président de la République populaire du Bénin, s’était vu affublé du surnom de « caméléon ». Il devrait le refiler à Gbagbo, parfaitement taillé pour ce genre de costume à évolution rapide.

Le quotidien français L’Humanité, ancien organe du Comité central du Parti communiste français, suit avec une attention particulière l’évolution de la situation politique à Abidjan. Et pour cause, c’est la dernière capitale africaine où le chef de l’Etat (même s’il l’est par confiscation du pouvoir depuis cinq ans !) est un « socialiste », leader d’un parti membre de l’Internationale socialiste. Illustration de cette lecture « socialiste » par L’Humanité : l’histoire contemporaine de la Côte d’Ivoire est un « cycle de crises sanglantes ouvertes par le coup d’Etat de 1999 contre Henri Konan Bédié puis par le putsch manqué de 2002 contre Laurent Gbagbo ». Un Gbagbo qui a été élu, en 2000, « contre le chef de la junte militaire, le général Robert Gueï » dans des « conditions qu’il a qualifié lui-même de calamiteuses », et qui va affronter, au deuxième tour de la présidentielle 2010, Alassane Ouattara, « ancien numéro deux du FMI » et « symbole de la crise identitaire qui a divisé le pays ».

Rosa Moussaoui, qui couvre l’actualité africaine à L’Humanité depuis le début de l’année 2010, est une journaliste-militante qui ne met pas son drapeau dans la poche (elle est très proche, dit-on, de Laurent Jamet, premier maire adjoint de Bagnolet qui a mené toute sa carrière politique au sein des structures du PCF). Elle a une lecture « anticoloniale » de la situation ivoirienne. Ce qui convient parfaitement à Gbagbo qui a compris que pour gagner le deuxième tour de la présidentielle, il lui fallait, d’une part stigmatiser son adversaire sans jouer la carte « identitaire » mais celle de « l’homme du FMI », d’autre part faire oublier ses griefs à l’encontre de Félix Houphouët-Boigny et de Henri Konan Bédié, espérant ainsi récupérer une partie des voix du PDCI (pour l’emporter, il lui faut récupérer au moins la moitié des voix qui se sont portées sur Bédié au premier tour).

Il lui faut faire oublier, aussi, qu’il n’a pas de bilan (enfin, pas de bilan positif) et pas de programme. Ce matin (vendredi 5 novembre 2010), dans L’Humanité, Gbagbo, interviewé par Rosa Moussaoui, a donc procédé à une relecture de l’histoire de la Côte d’Ivoire qui gomme son opposition à Houphouët et relance sa politique publique sociale. Bel exercice.

1 – Il n’y a pas de crise politique ivoiro-ivoirienne mais un cycle de crises dont le fondement est l’effondrement du modèle néocolonial. Explication. « L’origine de toutes ces perturbations » se trouve dans « la grande crise qui a frappé les matières premières dès le début des années quatre-vingt ». « La digue du parti unique s’est rompue » (Ah bon, c’était une « digue » ? Autrement dit, un ouvrage de protection !). « La dévaluation du franc CFA a durement frappé notre économie » (Ah bon, j’ai toujours pensé que cette dévaluation avait été taillée sur mesure pour l’économie ivoirienne). D’où le « coup d’Etat de 1999, puis le putsch avorté de 2002 qui s’est mué en rébellion ».

Pas un mot sur la résistance du « Vieux » au multipartisme, l’enrichissement des « grottos » du PDCI, la gestion patrimoniale de Bédié et de ses amis. Rien. « En réalité, explique Gbagbo, nous avons assisté, pendant toute cette période, à l’écroulement, sous les effets de la crise économique, du modèle néocolonial qui prévalait sous le règne de Félix Houphouët-Boigny. C’est pourquoi nous parlons de refondation ». Superbe démonstration qui exonère Bédié et le PDCI de toute responsabilité politique. Ils pourront voter Gbagbo au second tour !

2 – Dans une configuration de crise économique, le problème majeur c’est le chômage des jeunes : « environ 4 millions de jeunes Ivoiriens », précise Gbagbo. A l’instar de ce qui se passe « au Liberia, en Sierra Leone, au sud de la Guinée », ils deviennent « les proies de n’importe quel démagogue prêt à leur mettre des kalachnikovs et quelques billets entre les mains pour faire naître une rébellion ». Gbagbo, prompt à mettre en cause le Burkina Faso dans « l’affaire du 18-19 septembre 2002 » n’évoque plus ce pays ; ce sont des données économiques (le chômage) et non politiques (celles mises en œuvre par Gbagbo entre 2000 et 2002) qui expliquent la rébellion. D’ailleurs, Rosa Moussaoui, qui a tout compris, n’évoque pas dans sa question une « crise ivoiro-ivoirienne » mais une « crise militaire ». D’où le troisième point suivant.

3 – « La crise ivoirienne n’a donc rien à voir avec des problèmes identitaires ? » interroge-t-elle. Ce n’était qu’un « prétexte » pour « justifier la crise » une fois celle-ci « engagée », dit Gbagbo. « Le chômage des jeunes, dans toute la région [ce qui implique cette fois le Burkina Faso] est par contre un facteur fondamental de déstabilisation. En outre, cette rébellion s’est traduite par le pillage de ressources comme le diamant, l’or, le bois, le cacao ». L’économie comme facteur déclenchant et comme conséquence de la crise. La boucle est bouclée ; on fait l’impasse sur la gestion politique de Gbagbo. Mais pas sur la responsabilité de Ouattara.

4 – Ayant rappelé que Ouattara est « un ancien cadre du Fonds monétaire international », Moussaoui interroge Gbagbo : « Est-il aujourd’hui possible de résister aux diktats des institutions financières internationales ? ». « Dans les années 1990, les institutions financières internationales ont imposé leurs candidats à la tête de nombreux gouvernements africains. Tous ont échoué », répond Gbagbo. C’est Ouattara, promu premier ministre en 1990 alors qu’il débarquait du FMI, qui est visé. Un « impérialiste » face à un « socialiste » ? Bonne question.

5 – « Vous vous êtes longtemps réclamé du socialisme. Quel est aujourd’hui votre parti pris idéologique ? ». « Je suis toujours socialiste. Je n’ai pas changé ». Pour qu’on ne s’y trompe pas, Gbagbo affirme que la démocratisation « ne peut se réduire à la tenue d’élections tous les cinq ans » (pendant son « règne », les Ivoiriens n’ont pas été souvent appelés aux urnes). Il explique ce que c’est : « la transparence dans la gestion financière, le pari des compétences contre le règne des copains et des coquins, la décentralisation, etc » (pas vraiment le modèle Gbagbo). Quant aux « piliers d’une politique de gauche », ce sont « l’assurance maladie universelle » et « l’école gratuite et obligatoire ». On avait effectivement oublié que Gbagbo était socialiste. Même le PS à Paris !

6 – « Le Parti socialiste n’a pas franchement fait preuve de solidarité à votre égard pendant la crise », note Moussaoui. « Ce lâchage ne m’a […] pas surpris, répond Gbagbo. A certains moments de son histoire, la gauche française chausse les bottes du colonialisme ». Tout naturellement, cet entretien se termine par la relation franco-ivoirienne.

7 – « Cette relation devra se fonder sur la reconnaissance de notre souveraineté ». Costard-cravate, Gbagbo, après ses fanfaronnades de campagne, est passé aux choses sérieuses. Il entend se donner non seulement une posture de chef d’Etat mais, plus encore, de chef d’Etat compétent et responsable. Pas d’attaques « perso » ; un débat politique dont le fondement est idéologique et pas « ethnique ». Ouattara n’est pas un « candidat de l’étranger » ; c’est « l’homme du FMI », des institutions internationales qui veulent imposer leur « diktat » aux anciens pays colonisés, faiseuses de guerre après avoir échoué économiquement. CQFD !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique ; novembre 8, 2010

  1. Laurent Gbagbo « Avant tout, il faut instaurer la démocratie »

    Le président sortant, qui affronte au second tour l’ex-premier ministre Alassane Ouattara, confirme à l’Humanité son engagement pour sortir le pays de 
la crise politique. Il mise sur l’accès à la santé et sur la généralisation gratuite de l’éducation. Abidjan (Côte d’Ivoire), envoyée spéciale.

    Ce scrutin en Côte d’Ivoire 
peut-il avoir valeur d’exemple sur le continent africain ?

    Laurent Gbagbo. La Côte d’Ivoire est la deuxième économie d’Afrique de l’Ouest, après le Nigeria. Il était temps de mettre en adéquation le fonctionnement de la démocratie politique avec ses performances économiques. C’est ce que nous sommes en train de faire. Pour comprendre les épreuves traversées par ce pays, il faut remonter à la grande crise qui a frappé les matières premières dès le début des années quatre-vingt. Là se trouve l’origine de toutes ces perturbations. En 1990, la digue du parti unique s’est rompue. En 1994, la dévaluation du franc CFA a durement frappé notre économie. Vinrent ensuite le coup d’État de 1999, puis le putsch avorté de 2002 qui s’est mué en rébellion. Aujourd’hui, nous sommes en train de sortir de ce cycle de crises. Le problème, ce n’est pas Gbagbo au pouvoir ! En réalité, nous avons assisté, pendant toute cette période, à l’écroulement, sous les effets de la crise économique, du modèle néocolonial qui prévalait sous le règne de Félix Houphouët-Boigny. C’est pourquoi nous parlons de « refondation ».

    Si vous étiez réélu, quels 
seraient vos gestes pour tourner 
définitivement la page de la crise militaire et pour réunifier le pays ?

    Laurent Gbagbo. La priorité absolue, c’est l’emploi des jeunes. Environ 4 millions de jeunes Ivoiriens sont au chômage ou vivotent grâce au secteur informel. Sans emploi véritable, ces jeunes peuvent devenir les proies de n’importe quel démagogue prêt à leur mettre des kalachnikovs et quelques billets entre les mains pour faire naître une rébellion. C’est ce qui s’est passé non seulement dans notre pays, mais aussi au Liberia, en Sierra Leone, au sud de la Guinée.

    Selon vous, la crise ivoirienne n’a donc rien à voir avec des problèmes identitaires ?

    Laurent Gbagbo. Je ne dis pas cela, mais je n’ai jamais cru que la question identitaire était au centre de cette crise et je ne le crois toujours pas. Une fois la crise engagée, il faut bien trouver des prétextes pour la justifier. 
Il existe, effectivement, un problème identitaire. Mais je ne le crois pas assez aigu pour entraîner une guerre. Le chômage des jeunes, dans toute la région, est par contre un facteur fondamental de déstabilisation. En outre, cette rébellion s’est traduite par le pillage de ressources comme le diamant, l’or, le bois, le cacao. Il faut mettre un terme à cela, permettre un retour à la normale.

    Vous serez opposé, au second tour, 
à un ancien cadre du Fonds monétaire international. Est-il aujourd’hui possible de résister aux diktats des institutions financières internationales?

    Laurent Gbagbo. Dans les années 1990, les institutions financières internationales ont imposé leurs candidats à la tête de nombreux gouvernements africains. Tous ont échoué. Je crois que l’on peut résister à ces diktats, nous en sommes l’exemple. Dans le cadre de la réduction de la dette – nous avons hérité de 6 000 milliards de francs CFA de dette –, nous avons accepté d’appliquer certaines mesures de bon sens conseillées par le FMI et la Banque mondiale, et d’ailleurs inscrites à notre programme politique. En revanche, nous avons opposé un veto à celles qui nous semblaient inadéquates. Certains dirigeants africains se montrent incapables de dire « non » à ces institutions lorsque c’est nécessaire. C’est ce que je leur reproche.

    Vous vous êtes longtemps réclamé du socialisme. Quel est, aujourd’hui, votre parti pris idéologique ?

    Laurent Gbagbo. Je suis toujours socialiste, je n’ai pas changé ! En Afrique, plus qu’ailleurs, il faut des politiques de gauche, des politiques généreuses. Cela implique avant tout de s’engager dans une profonde démocratisation, qui ne peut se réduire à la tenue d’élections tous les cinq ans. Cela, nous le ferons. Mais la démocratisation, c’est aussi la transparence dans la gestion financière, le pari des compétences contre le règne des copains et des coquins, la décentralisation, etc. Avant tout, il faut instaurer la démocratie. Ensuite, il faudra garantir à tous l’accès à la santé. C’est le sens de l’assurance maladie universelle que je propose. Enfin, chaque enfant doit bénéficier d’une éducation de base, avec l’école gratuite et obligatoire. N’y a-t-il pas là les piliers d’une politique de gauche ?

    La gauche française, plus précisément le Parti socialiste, 
n’a pas franchement fait preuve de solidarité à votre égard pendant la crise. En gardez-vous de la rancœur ?

    Laurent Gbagbo. Non… Tout cela est du passé. Au temps de la lutte anticoloniale, déjà, l’attitude de la gauche française n’a pas été exempte d’ambiguïté. Ce lâchage ne m’a donc pas surpris. À certains moments de son histoire, la gauche française chausse les bottes du colonialisme. Elle devient plus française que progressiste. Nous y sommes habitués. C’est triste, mais ce n’est pas nouveau.

    Paris espère une « normalisation » 
de sa relation avec la Côte d’Ivoire…

    Laurent Gbagbo. Cette relation devra se fonder sur la reconnaissance de notre souveraineté. La France doit nous considérer comme un état souverain, qui a le droit au respect, au même titre que n’importe quel autre. Une fois que cela sera acquis, tout le reste deviendra secondaire.

    Entretien réalisé 
par Rosa Moussaoui

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Commentaires

  • MAKOUA
    • 1. MAKOUA Le 31/12/2010
    Pourquoi ne pas avoir Mr GBAGBO à l'usure.
    Sil est laché par tous et sans aucun moyen il sera forcé de s'en aller. Je ne m'y connais en politique, mais pourquoi Mr OUATTARA ne peut-il pas attendre que le temps travaille en sa faveur. Mr GBAGBO n'a qu'un choix c'est celui de quitter le pouvoir il est déjà encerclé de partout. Les armes est la pire des solutions. Je n'apprends rien à personne.
    Aussi je trouves très regrettable que l'un ou l'autre "PRESIDENTS" pousse les ivoiriens à descendre dans la rue sachant parfaitement qu'ils risquent de se faire tuer.

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