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Côte d’Ivoire : le Conseil du café-cacao au cœur du chaos

 

Comment le premier producteur mondial de fèves s’est-il retrouvé dans une telle crise ? Manque de contrôles, dévoiement du système de vente, mauvaise communication… Au-delà de la chute des cours, le gendarme de la filière est pointé du doigt.

Fin mars, la Côte d’Ivoire a drastiquement baissé le prix minimum garanti à ses centaines de milliers de petits producteurs pour l’achat de leurs fèves de cacao, de 1 100 à 700 F CFA (de 1,6 à 1 euro) le kilo. Une première depuis la grande réforme mise en place en 2012. Et ce coup dur n’est que l’aspect le plus visible de la crise qui touche le pays de l’or brun. Les finances publiques sont durement touchées. Le Conseil café-cacao (CCC), qui organise l’ensemble du secteur et le système des ventes, enregistre pas moins de 300 milliards de F CFA de pertes sèches.

Pour soutenir la filière, le gouvernement a renoncé en partie aux taxes qu’il perçoit sur les exportations, pour un montant de 43,4 milliards de F CFA ; autant de recettes fiscales en moins. Il a été contraint de réduire les budgets des ministères et de se tourner vers le FMI pour réclamer une rallonge.
 

Comment en est-on arrivé là ? La réforme de la filière cacao avait justement pour objectif d’éviter un tel désastre, qui rappelle selon certaines sources la faillite de la Caisse de stabilisation et de soutien des prix des productions agricoles (Caistab) dans les années 1990.

Décennie de scandales

Après une décennie de scandales, la Côte d’Ivoire avait pourtant adopté un système stable et transparent, celui de la vente par anticipation (durant toute l’année qui précède la campagne), pour 80 % de la récolte.

En connaissant à l’avance les revenus tirés de l’essentiel de la récolte, le pays pouvait ainsi garantir à ses 800 000 planteurs comme aux autres acteurs un prix fixe et soutenable.

Une refonte profonde encore saluée aujourd’hui. « Il n’y a pas besoin de la réécrire. Le problème réside dans sa mise en œuvre, estime un acteur du secteur pourtant très critique qui, comme tant d’autres, préfère conserver l’anonymat pour évoquer ce sujet extrêmement sensible. Il y a eu beaucoup de négligences. »

Secret exigé ?

 

Puissant gendarme de la filière, institution publique agissant sous la tutelle du ministre des Finances et du ministre de l’Agriculture, le CCC – qui n’a pas souhaité répondre à nos questions – se retrouve sous le feu des critiques. Car la réforme semble avoir été dévoyée au fil des ans. L’exigence de transparence ? Elle n’a jamais vraiment été respectée, le Conseil se retranchant derrière la nécessité du secret pour préserver les intérêts nationaux.

Ainsi, le montant du fonds de réserve, une caisse constituée grâce aux ventes en « spot » des 20 % de la récolte, n’a jamais été divulgué, et l’audit annuel d’évaluation du système de commercialisation n’a pas été mené après la première campagne (2012-2013). L’obligation pour l’exportateur d’acheter le cacao à prix fixe, en fournissant un engagement d’achat émanant de l’acheteur final, généralement basé aux États-Unis ou en Europe ?

Elle a été allégée par la possibilité de conclure des contrats dits en prix à fixer. L’impératif de verser une caution de 2,5 % du montant des contrats conclus ? Le chiffre a été abaissé à 1 % pour les PME exportatrices et coopératives, en partie rassemblées au sein du groupement d’intérêt économique PMIEX-Coopex, dont le plus gros opérateur est la coopérative CNEK pour la campagne en cours.

Système fragilisé

 

Pour certains, ces facilités, principalement destinées à ouvrir l’exportation de cacao aux Ivoiriens, ont profondément fragilisé le système. Les entreprises ivoiriennes ont eu accès à 500 000 tonnes pour la campagne 2016-2017, contre 30 000 t en 2015-2016, mais elles n’ont pu en honorer que 150 000.

« On a laissé entrer des acteurs qui n’étaient pas assez solides, des personnes qui, parfois seules dans un bureau, pouvaient acheter plusieurs dizaines de milliers de tonnes de cacao », s’énerve l’une de nos sources.

Un renforcement des contrôles a manqué

« C’était justifié », rétorque un fin connaisseur des arcanes du CCC, estimant que la réforme devait aussi faire une place aux locaux dans un système largement dominé par les multinationales comme Cargill, Barry Callebaut ou Olam (repreneur des anciennes activités d’Archer Daniels Midland).

« Mais ces mesures devaient s’accompagner d’un renforcement des contrôles, c’est précisément ce qui a manqué », complète-t-il. La surface financière des exportateurs ou encore la solidité des contreparties n’ont ainsi pas fait l’objet de vérifications suffisantes, favorisant les spéculations.

« Pour le CCC, les contrôles étaient davantage perçus comme une dépense que comme une assurance, alors même qu’il a les moyens financiers de les réaliser », poursuit notre spécialiste. Il faut dire que, en cette période d’euphorie du marché mondial du cacao, personne ne voulait anticiper le pire, pas même les autorités, qui collectaient ces dernières années plus de 500 milliards de F CFA de recettes fiscales liées à ce secteur.

Certains opérateurs ayant fait défaut, nous avons été obligés de replacer ces contrats sur le marché

Plus récemment, il a également été reproché au Conseil son attitude depuis le début de la dégringolade des cours, en juillet. « Il y a eu une très mauvaise communication », analyse un acteur de la filière. En témoignent notamment ses démentis systématiques concernant l’existence des contrats frauduleux.

En janvier, comme il l’avait déjà fait en septembre, le gendarme de la filière cacaoyère ivoirienne a fermement démenti des informations parues dans la presse selon lesquelles il s’apprêtait à annuler entre 200 000 et 300 000 t de contrats octroyés à des acteurs qui avaient spéculé et qui ne seraient pas capables de les honorer.

Il a fallu attendre février pour que Massandjé Touré-Litsé, la patronne de l’institution, confirme pour la première fois l’annulation de ces contrats frauduleux et leur revente à prix cassé, à l’heure où le cours de l’or brun avait déjà dégringolé de près de 40 %, passant de 2 600 à 1 500 livres (environ 3 000 à 1 700 euros) la tonne à la Bourse de Londres : « Certains opérateurs ayant fait défaut, nous avons été obligés de replacer ces contrats [sur le marché] », déclarait-elle à la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI), sans donner de précisions sur les volumes concernés. C’est le ministre de l’Agriculture qui s’en chargera quelques semaines plus tard dans un communiqué, confirmant le chiffre d’« environ 350 000 t » qui circulait à Abidjan depuis de longs mois.

« Rumeur infondée »

 

Même stratégie s’agissant du prix minimum garanti aux producteurs. Dans la même interview, la patronne du CCC qualifiait de « rumeur infondée » la possibilité de baisser le prix au producteur en cours de campagne en raison de l’effondrement des cours. Pourtant, le 31 mars, ce prix bord-champ passait à 700 F CFA le kilo pour la campagne intermédiaire – sur laquelle d’importants volumes de la campagne principale s’étaient reportés.

En jouant la montre, le CCC espérait protéger les intérêts ivoiriens, car une remontée des cours aurait permis de limiter les dégâts. Mais celle-ci n’est pas advenue et, selon une de nos sources, l’attitude du Conseil a eu, in fine, pour conséquence d’« augmenter le phénomène spéculatif ».

De vives critiques ont été adressées à Massandjé Touré-Litsé et à ses équipes. La réactivation du comité interministériel des matières premières par Alassane Ouattara pour gérer la crise a sonné comme un véritable désaveu à leur égard.

Vent froid sur les nominations

 

Et ce sentiment a été renforcé lorsque le président ivoirien a gelé un certain nombre de nominations au conseil d’administration du CCC. Pourtant, selon certains analystes, le travail de pédagogie mené par la patronne du CCC, qui « a sillonné les campagnes » pour préparer les producteurs à la baisse des prix, a porté ses fruits : aucun vent de révolte ne s’est levé sur les plantations, malgré la grogne sociale ambiante.

Actuellement, elle se montre aussi très active pour tenter de construire une alliance avec les autres pays producteurs. Pour d’autres, l’exécutif attendrait le lancement de la prochaine campagne, le 1er octobre, pour renouveler le Conseil. Quelles que soient les équipes, la tâche s’annonce ardue.

La conjoncture ne devrait pas s’améliorer dans les mois à venir : selon les prévisions de l’Organisation internationale du cacao (Icco), le monde devrait connaître ces prochaines années un surplus de production qui pèsera à la baisse sur les cours.

Améliorer la gestion des exportations sera donc le principal défi. Fin mars, le ministre de l’Agriculture a d’ailleurs commandé en urgence un audit du système de commercialisation. Confié à KPMG, ce document est selon nos informations promis pour la fin du mois de juillet.


Spéculateurs payeurs

 

Pour rattraper les pertes de certains exportateurs, Massandjé Touré-Litsé, la directrice générale du Conseil café-cacao, a adressé des mises en demeure à toutes les sociétés et coopératives concernées pour exiger d’elles le paiement de pénalités. Les sanctions vont de 2 milliards à 10 milliards de F CFA, somme réclamée, selon nos informations, à la coopérative Coopadis, dirigée par Raymond Koffi.

Un joueur reste un joueur

Mais aucun agrément n’a été retiré. Des négociations entre le CCC et les PMEX-Coopex mises en cause ont permis de trouver un accord. Les entreprises défaillantes ont dû payer 10 % de la pénalité pour continuer à acheter des volumes de cacao. Le reliquat a été étalé sur cinq ans.

Mais, d’après les analystes, le risque de faire face à de nouveaux défauts de contrat de ces exportateurs est bien réel : « Un joueur reste un joueur. Le marché est tellement bas qu’ils se disent qu’il va remonter et prennent à nouveau des positions spéculatives », affirme l’un d’eux. Selon nos informations, pour la campagne 2017-2018, des risques contractuels porteraient sur environ 200 000 tonnes de cacao.

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